C’est un programme contrasté que proposait hier soir le nouveau directeur musical de l’Orchestre national de France. En réunissant un Mozart visionnaire au Mahler des Kindertotenlieder, en passant par un Brahms et un Schubert tardif, Emmanuel Krivine nous invitait à une rétrospective du « long 19e siècle » musical.
Le Mozart de la Musique funèbre maçonnique n’est en effet plus soumis au contrainte temporelles et stylistiques de son époque. Avec son effectif déroutant (une clarinette et trois cors de basset chez les bois), c’est un univers sombre et caverneux qui s’ouvre inopinément aux oreilles de l’auditeur. Emmanuel Krivine manipule avec souplesse les jeux d’ombre et de lumière qui font la réussite de la partition.
Enchaîner avec les Kindertotenlieder (après une pause hélas bien longue) semble particulièrement opportun. La Musique maçonnique est comme un austère prélude à la lamentation intime de Stéphane Degout. Ce dernier interprète le cycle tortueux et dépouillé avec dignité et retenue. Le timbre est toujours riche et projeté, et l’interprète suffisamment intelligent pour ne jamais sombrer dans un pathos de mauvais goût. Quitte à en devenir froid ? Les rares éclairages suggérés par le compositeurs (enharmonies mineur/majeur brutales) ne sont peut-être pas aussi bien ménagés qu’ils devraient l’être, mais un allemand sans faille rachète le baryton instantanément. La battue du chef se fait plus agitée, plus convulsive, tirant de l’orchestre des sonorités presque bruitistes dans « In diesem Wetter ». Mais ici aussi, les éclairages mahlériens semblent seulement effleurés et non pleinement assumés.
Si l’on reproche à l’Orchestre national de France une tendance au conservatisme, il faut reconnaitre qu’il n’a pas son pareil pour faire redécouvrir les œuvres du passé tombées dans un injuste oubli. Trois pièces chorales de Ravel étaient ramenées à la vie en septembre dernier, c’est au tour du Chant des Parques de Brahms de sortir de l’ombre. Œuvre austère, aux allures d’une Chaconne de la 4ème Symphonie, la pièce prend appui sur un texte tiré d’Iphigénie en Tauride de Gluck. On y retrouve les questionnements fondamentaux de l’auteur de Prométhée ou de Faust, où l’homme doit apprendre à craindre les dieux pour son bien. L’orchestre massif répond à une écriture chorale dense et intensément polyphonique, ne lésinant pas sur des effets de dialogue entre pupitres, rappelant le double-chœur de la Passion selon Saint-Matthieu. Préparé par Sofi Jeannin, le Chœur de Radio France est fier de montrer sa puissance et son allemand dès les premières mesures. Si la première reste, le second fait défaut dans les couplets centraux de l’œuvre, où le texte nous parvient plus difficilement. Du fond de la scène, les gestes d’Emmanuel Krivine se font moins perceptibles, et c’est l’équilibre entre les pupitres qui en pâtit. Heureusement, il reste la puissance de projection des chanteurs, qui assure sinon la réussite complète, au moins le demi-succès de la représentation.
Le programme se clôt sur les deux mouvements de l’Inachevée de Schubert. Le premier, fuyant et presque effacé, fait briller l’Orchestre national de France à travers les différents contrastes dramatiques disséminés par Schubert dans sa partition. La divine longueur du second nous transporte enfin dans ce monde lumineux promis par Mahler et attendu depuis. Après les retors de la programmation précédente, le Mi Majeur aura rarement été aussi rayonnant. Il était donc tout à fait naturel qu’Emmanuel Krivine dédie cette Inachevée à la mémoire du rayonnant Jean Rochefort dans une adresse a un public semblant partager son avis.