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MAHLER, Symphonie n° 3 – Verbier

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Spectacle
23 juillet 2024
Une sublime symphonie dans un sublime paysage

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Gustav MAHLER (1860-1911)
Symphonie N° 3 en ré mineur

  1. Kräftig. Entschieden (Avec force. Décidé) – « Pan erwacht. Der Sommer marschiert ein » (Pan s’éveille. L’été se met en marche)
  2. Tempo di Minuetto. Sehr mäßig (Tempo de menuet. Très modéré) – « Was mir die Blumen auf der Wiese erzählen »(Ce que me racontent les fleurs dans les prés)
  3. Comodo. Scherzando. Ohne Hast (À l’aise. Avec légèreté. Sans hâte) – « Was mir die Tiere im Walde erzählen » (Ce que me racontent les animaux dans la forêt)
  4. Sehr langsam. Misterioso. Durchaus ppp (Très lent. Mystérieux. D’un bout à l’autre pianissimo) – « Was mir der Mensch erzählt » (Ce que me narre l’être humain)
  5. Lustig im Tempo und keck im Ausdruck (Joyeux dans le tempo et effronté dans l’expression) – « Was mir die Engel erzählen » (Ce que me racontent les anges)
  6. Langsam. Ruhevoll. Empfunden (Lent. Paisible. Bien ressenti) – « Was mir die Liebe erzählt » (Ce que l’Amour me raconte)

Détails

Magdalena Kožená, mezzo-soprano

Verbier Festival Orchestra
Oberwalliser Vokalensemble
Chœur « Cantiamo » de l’École de chant du Haut-Valais

Direction musicale
Simon Rattle

Verbier Festival
Salle des Combins
19 juillet 2023, 18h30

 

Construire une grande arche depuis les larges appels des cors et les telluriques roulements de grosse caisse du début, à faire trembler les parois de la salle des Combins, jusqu’à la sérénité de l’adagio final en forme de méditation, d’apaisement, d’union avec la création (et avec soi-même), c’est la gageure à tenir (pendant une heure trente), le défi de la Troisième symphonie de Mahler. Simon Rattle y a offert une formidable démonstration de maîtrise pour l’ouverture du Verbier Festival 2024.

Et on hésite à dire qu’il dirigeait un orchestre de jeunes, tant le Verbier Festival Orchestra y a été prodigieux de souplesse et de plénitude à la fois. Et de sonorité. Car c’est sans doute le travail sur le son qui saisit tout d’abord.

Sir Simon Rattle à Verbier © Nicolas Brodard

D’un sublime à l’autre

Comme on sait, Mahler n’a pas lésiné, huit cors pour lancer le premier thème, et ensuite des effectifs à l’avenant, les bois par quatre, les cuivres aussi, huit timbales, des cloches et des cordes que nous avons renoncé à compter tant on avait l’impression sur la grande scène d’une mer de violonistes, cellistes et bassistes, Rattle trouve le moyen de donner une lecture qui semble claire et lisible de cet archipel de sonorités débridées.

On connaît le mot de Mahler à Bruno Walter : « Inutile de regarder le paysage, il est passé tout entier dans ma musique ». De fait, quitter le fantastique paysage de sommets enneigés, de glaciers (en voie de fonte rapide, hélas), de prairies fleuries comme jamais (grâce à un printemps bien arrosé et à un été tardif) qui entoure Verbier de toutes parts pour entrer dans la vaste salle du festival, c’est délaisser un sublime pour entrer dans un autre.

Œuvre surhumaine que cette symphonie composée par Mahler en 1895-96, à Steinbach-am-Attersee, entre deux randonnées dans la montagne et deux plongées dans les eaux fraîches du lac. « Le terme Symphonie signifie pour moi : avec tous les moyens techniques à ma disposition, bâtir un monde ».

Une collection de départs

Mais la démiurgie n’est pas facile et le premier mouvement le démontre. S’il s’agit d’évoquer « l’éveil du Dieu Pan et l’entrée de l’été », c’est une formidable collection de faux départs qui s’y donne à entendre. Ni la marche funèbre du début, ni les marches plus ou moins militaires qui suivront n’iront à leur terme,
L’étendue de la palette sonore, l’éclat éblouissant des trompettes, l’imposant choral des trombones (« ce que le racontent les rochers de la montagne »), les ponctuations des cordes graves, et soudain un chant d’oiseau à la flûte, puis une marche goguenarde (où Richard Strauss croyait entendre un défilé de travailleurs sur le Prater un 1er mai), le tout saupoudré de cette dérision mahlérienne, de cette ironie grinçante, qui côtoie le grandiose et le solennel…, de tout cela Rattle donne une lecture rutilante, éclatante, vive, fluide, rapide, et constamment claire. « Voilà de la polyphonie ou je ne m’y connais pas » disait Mahler. Il aurait été content.

Le Verbier Festival Orchestra © Nicolas Brodard

De formidables jeunes solistes

Ajoutons que l’énormité de l’effectif et le raffut des fortissimos sont à la mesure de la salle gigantesque des Combins (1700 places, toutes occupées).
Il faudrait citer le jeune trombone solo, Ethan Shrier, merveilleusement expressif, bouleversante voix humaine dans ce grand tohu-bohu génialement dégingandé, et dialoguant avec le kapellmeister de la soirée (il s’établit une rotation au fil des différents concerts, ici c’est Arthur Trælnes, vingt-deux ans, au violon lui aussi extraordinairement chantant). Et dire la truculence des sonorités, leur acidité à l’occasion, une verdeur voulue, des appels de trompettes astringents, la tendresse soudaine des cordes, le contrepoint d’un basson bonhomme, et par-dessus tout le dynamisme d’un Rattle survolté et à l’évidence aux anges (les écrans vidéos en témoignent).

On dira d’un mot la douceur élégiaque du deuxième mouvement, menuet tranquille traversé de chants d’oiseaux et parfois de grandes harmonies fondantes, « la page la plus insouciante que j’ai composée, insouciante comme seules savent l’être les fleurs ». Là encore, la clarté de la palette de Rattle émerveille, les dosages minutieux de sonorités, la prestesse des changements de tempo ou de climat, cette élégance et cette manière de faire respirer familièrement cette musique, tellement Mitteleuropa, par de jeunes musiciens (âge maximum : 28 ans) venus de toute la planète et qui l’abordent pour la première fois.

Le troisième mouvement est un bavardage d’oiseaux (« ce que me racontent les animaux de la forêt »), une manière de scherzo, qui se souvient d’un lied du Knaben Wunderhorn. De cette volière enchantée, Rattle donne une lecture d’une clarté virtuose, quasi chambriste dans le dialogue des pupitres, qu’illumine soudain le solo da lontano d’une trompette ensoleillée (sur des harmonies de cuivres qui sonnent un peu Guillaume Tell, mais c’est sans doute de l’autosuggestion), avant que des fanfares vaguement militaires viennent s’entremêler au concert d’oiseaux. Là encore, Rattle semble dessiner une arche musicale qui viendra achopper sur un nouveau choral puissant des trombones.

Magdalena Kožená © Nicolas Brodart

La fervente simplicité de Kožená

Mais c’est surtout pour les parties chantées de cette symphonie que nous sommes là. Comment exprimer le bouleversant tremblement de la voix de Magdalena Kožená sur le « O Mensch ! » de Nietzsche et l’intériorité de son « Gib Acht ! » (Ô homme, prends garde !), le frémissement de ce timbre, aussi émouvant par sa couleur même que jadis celui de Janet Baker, sa sincérité profonde, son dénuement, sur les appels déchirants d’un cor, ou les glissandos d’un hautbois strident. Une voix qui crée l’intimité, qui va chercher ce qu’elle a de plus grave, son plus chaud pour « Doch all’ Lust will tiefe Ewigkeit ! » (Mais toute joie veut la profonde éternité ! ) en duo avec le violon hypersensible d’Arthur Trælnes.
Il y a quelques semaines nous l’entendions à Evian dans les Rückert Lieder de Mahler (avec Rattle aussi, évidemment) et le même lyrisme intensément vécu avait bouleversé le public, appuyé sur une adhésion profonde au message musical et poétique. La même simplicité, la même candeur peut-être.

Après cette page d’une lenteur extatique, le « Bimm, bamm, bimm, bamm,… » venu du Knaben Wunderhorn sera d’une fraicheur de printemps revenu et la voix de Magdalena Kožená, avec ses couleurs un peu maternelles se posera sur les voix acidulées du chœur « Cantiamo » de l’école de chant du Haut-Valais pour établir un délicieux contraste. Non moins étonnante la netteté des voix féminines du Oberwalliser Vokalensemble dans des effets gauche-droite d’une incroyable précision.`

L’apaisement enfin

Enfin viendra la page qui semble être la clé de toute la symphonie, le sixième mouvement : noté Langsam. Ruhevoll. Empfunden. (Lent. Tranquille. Ressenti.)

Longue page dédiée aux seules cordes. Elle aussi sous le signe du récit (« Was mir die Liebe erzählt » – Ce que l’Amour me raconte)
Conclusion inattendue à toute l’agitation précédente. Et qui sonne, sinon comme une prière, plutôt comme une adhésion, un assentiment, un consentement. À quoi ? Peut-être aux paysages décrits plus haut, mais surtout à ce qui est, au monde, à la création, au destin humain. Une acceptation. Sereine.

On entend alors voler dans l’air, au-dessus des auditeurs, quelque chose qui tient de la ferveur, mais aussi de l’enchantement, à la mesure de la qualité sonore des cordes de ce jeune orchestre, de leur fusion parfaite, dans un sentiment profond.

Peu à peu, les vents viendront se mêler à cette douceur, à ces harmonies apaisées, à ces effusions de plus en plus exaltées, à ce climat mystique un peu brucknérien, sans plus aucun sarcasme, jusqu’à un crescendo triomphant, et à des ponctuations de timbales nécessaires après ce long moment suspendu, dont Rattle aura conduit les longues lignes avec autant de science que de rayonnement.

Et le long silence qui s’instaurera avant des applaudissements évidemment enthousiastes sera encore de Mahler et de Rattle…

Sir Simon Rattle à Verbier © Nicolas Brodard

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  1. Kräftig. Entschieden (Avec force. Décidé) – « Pan erwacht. Der Sommer marschiert ein » (Pan s’éveille. L’été se met en marche)
  2. Tempo di Minuetto. Sehr mäßig (Tempo de menuet. Très modéré) – « Was mir die Blumen auf der Wiese erzählen »(Ce que me racontent les fleurs dans les prés)
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