Fait sans doute unique dans l’histoire de l’opéra, Cecilia Bartoli aura consacré la totalité de la saison passée à son hommage à Maria Malibran : un CD, un DVD, une exposition itinérante et une tournée dont le point d’orgue a eu lieu à Paris, le 24 mars 2008, jour du bicentenaire de la naissance de son illustre devancière que la cantatrice romaine a célébré en offrant au public de la Salle Pleyel trois concerts – dont un opéra intégral – en moins de douze heures, exploit largement salué à l’époque dans tous les media.
De retour Salle Pleyel, Cecilia Bartoli, encore tout auréolée de son triomphe, semble vouloir prolonger la fête avec un programme remarquablement construit autour de Rossini, dans lequel elle reprend quelques uns des airs qui ont jalonné sa journée marathon de mars dernier et d’autres, puisés dans son répertoire de la fin des années 90, qu’elle remet sur le métier, forte de l’expérience qu’elle a acquise en se frottant à la musique baroque.
La soirée s’ouvre avec une « Regata veneziana » éblouissante de fantaisie qui montre le chemin parcouru par Cecilia Bartoli depuis les concerts de 1999 où elle chantait déjà avec brio ce triptyque, accompagnée au piano par Jean-Yves Thibaudet. Le medium a gagné en volume et dispose désormais d’une palette de nuances plus étendue qui permet à l’interprète de mieux différencier les couleurs propres à chacune des parties.
Des quatre mélodies qui précèdent l’entracte, on retiendra la fameuse « Canzonetta spagnuola » dont Bartoli propose une interprétation teintée d’un humour pince-sans-rire avec un crescendo qui de couplet en couplet culmine sur une rafale de vocalises d’une redoutable précision et « La Danza » qui conclut la première partie dans un feu d’artifice vocal ébouriffant.
C’est encore Rossini qui se taille la part du lion dans la seconde partie avec des mélodies sur des textes français. On notera les progrès accomplis par la cantatrice dans la prononciation de notre langue, désormais quasi parfaite, qui rend plus savoureuse encore son incarnation de « La grande coquette ».
Vincenzo Bellini est également mis à l’honneur avec sept mélodies qui occupent une place de choix au cœur de la première partie du concert. Elles nous entraînent dans un tout autre univers et révèlent une facette bien différente du talent de la chanteuse. Point ici de pyrotechnies vocales, mais une ligne de chant épurée qui épouse avec délicatesse les longues phrases de ces cantilènes mélancoliques avec un legato impeccable et un art consommé de la demi-teinte et du clair-obscur. Cecilia Bartoli qui a mis récemment La Sonnambula à son répertoire, interprète ces airs de salon avec une simplicité et un naturel confondants qui confèrent à des pages comme « Vaga luna che inargenti » ou « Malinconia, ninfa gentile » une profondeur insoupçonnée.
Le programme comporte encore quelques pages de Donizetti pour faire bonne mesure et s’achève sur un ultime hommage à la Malibran et sa famille à travers des compositions de Pauline, sa sœur, de Manuel, son père et Le fameux « Rataplan » de Maria elle-même qui fait désormais partie des « tubes » de Cecilia Bartoli.
Sergio Ciomei se hisse à la hauteur de sa partenaire avec un accompagnement d’une délicatesse infinie, dans les pages de Bellini notamment, où ses doigts semblent à peine effleurer les touches de son piano et fait montre d’une virtuosité redoutable dans Rossini.
Devant l’enthousiasme du public, les deux complices offriront trois bis : le savoureux « Canto Negro » de Montsalvatge et, pour rester dans le cadre des mélodies de salon, deux chansons de De Curtis que Cecilia Bartoli interprète avec un chic qui n’appartient qu’à elle.