On sait combien Mozart qui adhérait à la morale d’une fable où la maîtrise de soi triomphe sur les forces obscures, s’était lancé avec enthousiasme dans ce dernier opéra. La Flûte enchantée est un étonnant mélange de simplicité et de complexité : ouverture grandiose, airs à couplets pour Papageno, airs de romance pour Tamino et Pamina ou virtuoses pour la Reine de la nuit ; ensembles vocaux novateurs, clochettes et flûteau, orchestration raffinée.
Schikaneder avait proposé à son ami Wolfgang le livret d’un singspiel destiné à divertir un public populaire ; le génie du compositeur l’a élevé au rang de conte initiatique.
La Fura dels Baus et le plasticien Jaume Plensa en font un gigantesque show dans un univers à la fois organique et onirique qui se veut en phase avec notre monde chaotique. Ils ont souhaité — nous disent-ils — présenter
« une synthèse esthétique de l’utopie humaine alliant optimisme et pessimisme ». On ne saurait blâmer l’intention…
Après la fascinante production imaginée par le collectif catalan pour le Château de Barbe-Bleue à l’Opéra Garnier, cette reprise modifiée de La Flûte enchantée— conspuée durant la première saison Mortier — éveillait une certaine curiosité.
Exit le poème dit par des acteurs juchés sur des chaises d’arbitre. Place aux projections lumineuses du texte de Rafael Argullol défilant à toute allure. Réintégration des dialogues parlés en allemand, cisaillés, augmentés, sonorisés. Présence d’une console de jeu électronique pour instruire le public sur les phases du jeu en cours « Press for pause » au moment de l’entracte « End of game » à la fin de la représentation.
Hélas aussi ludique, inventive, magique qu’elle soit, cette mise en scène surajoute, étourdit, dépoétise. Les modules gonflables expirent bruyamment. Les projections vidéo détournent le regard de l’action.Les numéros d’illusionnistes égarent l’esprit. On veut nous faire comprendre qu’il s’agit d’un songe émanant d’un cerveau non identifié. Alors, on nous exhibe un organe cérébral humain projeté à grande échelle et violemment coloré en rouge ou en bleu. En fin de comptes, peu de choses nous restent en mémoire, si ce n’est l’impressionnant serpent lumineux, les immenses matelas pneumatiques transparents à tout faire, la piscine de balles où a lieu la tentative de viol de Monostatos, le sang qui coule de bas en haut quand Pamina veut poignarder Sarastro… Comme chacun sait, rien n’est plus volatile que les rêves.
Tout en assurant le confort des chanteurs, le chef allemand Thomas Hengelbrock fait le maximum pour accorder ses tempos au rythme décousu de cette mise en scène pléthorique, entrecoupée de bruits parasites. Sous sa conduite élastique et recherchée, l’orchestre ne mérite que des éloges pour son exécution, fréquemment mission impossible.
Dans leurs costumes de bandes dessinées futuristes assez seyants, les chanteurs sont vocalement et scéniquement tous adéquats et crédibles sans qu’aucun d’eux n’emporte de palme.
Le couple Tamino et Pamina est attachant. Shawn Mathey est un ténor mozartien très sûr et sympathique. La soprano suédoise Maria Bengtsson possède un timbre clair et une grande fraîcheur ; son air du deuxième acte chanté avec délicatesse est le moment le plus émouvant de la soirée. Le baryton allemand Russell Braun, Papageno, assez maniéré, manque de la naïveté propre au personnage et la voix est parfois instable. Maria Virginia Savastano, Papagena, a du tonus. Markus Brutscher, Monostatos ainsi que les Trois Dames (nonobstant leurs seins et leurs sexes lumineux qui obnubilent) chantent correctement sans plus. José Van-Dam est un officiant de luxe. La voix puissante de Kristinn Sigmundsson donne des signes de fatigue, mais le rôle de Sarastro lui va comme un gant. Il est particulièrement à son aise dans le trio du deuxième acte. La Hongroise Erika Miklosa est l’une des coloratures les plus demandées pour sa technique sans faille dans les vocalises, elle manque cependant d’abattage, surtout dans le premier air.
Incontestablement, qu’elle soit admirée ou détestée, la star de cette production c’est La Fura dels Baus. Tant pis pour le divin Mozart. Aujourd’hui, il lui faut braver tous les outrages. Certains pensent même qu’il se serait éclipsé(1)…
(1) Voir l’édito du mois de novembre de Sylvain Fort.