C’est désormais une tradition bien établie, chaque année, le Théâtre des Champs-Élysées propose un opéra en version de concert en coproduction avec l’Opéra de Lyon. Ce partenariat nous aura valu une série d’ouvrages consacrés au bel canto, puis au jeune Verdi. La saison dernière devait inaugurer une nouvelle série consacrée à l’opéra français avec un Werther malheureusement annulé pour cause de confinement. Cette année, c’est Manon qui était à l’honneur. Ces dernières semaines deux des principaux interprètes ayant renoncé à leur participation, c’est finalement, au ténor près, une distribution francophone qui aura défendu l’ouvrage de Massenet.
Les seconds rôles, tous remarquablement tenus, n’appellent que des louanges : Margot Genet, Amandine Ammirati et Clémence Poussin, toutes trois membres du Studio de l’Opéra de Lyon, campent avec un zeste d’ironie et de malice, les trois maîtresses de Guillot de Morfontaine dont elles commentent avec humour les infortunes dans ses tentatives de conquérir Manon. Guillot trouve en Eric Huchet un interprète de classe, à la voix solide, qui garde sa dignité en toute circonstance sans jamais tomber dans la caricature. Philippe Estèphe est un Brétigny bien chantant mais quelque peu effacé auquel il manque un soupçon d’autorité pour être pleinement crédible. Le timbre, homogène, n’est cependant pas dépourvu d’attraits. Nicolas Testé incarne avec noblesse un Comte des Grieux bienveillant tant avec Manon au Cours-la-Reine qu’avec son fils à Saint Sulpice. Sa voix large et sa ligne de chant élégante font merveille dans son air « Epouse quelque brave fille » qu’il chante avec la bonté d’un père aimant et non pas, comme souvent, la rigueur d’un bourgeois moralisateur. Le rôle de Lescaut va comme un gant à Jean-Sébastien Bou qui excelle à en mettre en valeur toutes les facettes, le joueur superficiel et invétéré, le cousin irresponsable qui se transforme occasionnellement en souteneur et enfin le soldat perdu, dépassé par les événements. Cette incarnation aboutie est servie par une voix longue et ductile et une technique irréprochable. Doté d’un physique avenant, Saimir Pirgu est un des Grieux fringant dont le timbre clair ne manque pas de séduction. De plus le ténor est capable de demi-teintes bienvenues, notamment dans le songe qu’il chante mezzo forte avec beaucoup d’émotion. Pourquoi faut-il alors qu’il s’autorise des aigus claironnants fortissimo qui viennent dénaturer « Ah fuyez douce image » ainsi que le duo qui lui fait suite en tirant ces pages vers le vérisme le plus outré. Sa diction enfin n’est pas toujours très intelligible. Dommage. Enfin Vannina Santoni trouve en Manon un rôle à la mesure de ses moyens. Touchante dès son entrée « Je suis encore tout étourdie », son personnage gagne en intensité au fil de la soirée – sa « Petite table », poignante, déclenche l’enthousiasme de la salle – jusqu’au dénouement tragique où l’émotion est à son comble. Seul petit bémol, le tableau du Cours-la-Reine pendant lequel le timbre paraît mat par moment et l’aigu tendu. Sans doute l’heureux événement qu’attend la soprano est-il à l’origine de ces menus désagréments.
Daniele Rustioni propose une direction à la fois théâtrale et extravertie, peut-être un peu trop clinquante par instant (le Cours-la-Reine). Il parvient cependant à conduire avec délicatesse des pages comme la « Petite table » ou le duo final. On soulignera le raffinement et le souci du détail avec lesquels il dirige le tableau de l’hôtel de Transylvanie.
La partition est donnée dans sa quasi-totalité avec de mini-coupures ici ou là, en particulier dans la scène finale plus développée cependant qu’à l’accoutumée.