Lorsque Gaetano Donizetti compose Maria Stuarda en 1834, il n’a sans doute pas en tête la question du leadership féminin qui, à Liège, motive la mise en scène de Francesco Esposito. Vraisemblablement, le compositeur de Lucia di Lammermoor est en quête d’un de ces sujets scandaleux qu’il aime mettre en musique. Et le crêpage de chignon entre deux reines avec sa fameuse invective « Figlia impura di Bolena… Meretrice indigna, oscena » (fille impure de Bolena… Catin indigne et obscène) ne peut que retenir son attention. Si l’on ajoute à ces noms d’oiseaux, la représentation sur scène d’un sacrement chrétien, interdite à l’époque (la confession finale de Maria Stuarda) et l’exécution d’une tête couronnée, on comprend pourquoi le livret de Giuseppe Bardari est un pied de nez à la censure. Provocateur, Donizetti ? C’est ce que suggère Chantal Cazaux dans l’Avant-Scène Opéra. Les amours incestueux de Fausta, Lucrezia Borgia ou encore Parisana, ajoutés à cette Maria Stuarda licencieuse, sont autant de charges portées à un dossier que l’on n’aurait pas forcément pensé à monter.
Écartant ces problèmes d’un autre temps, au théâtre du moins, Francesco Esposito explique dans ses notes d’intention avoir préféré apporter un éclairage actuel sur l’œuvre : « le rapport difficile entre les femmes et le pouvoir n’a pas été résolu à l’époque des deux reines et ne l’est toujours pas aujourd’hui, la société n’est pas encore organisée de sorte que les femmes puissent avoir du pouvoir car elle ne le prévoit pas. Essayons de démontrer le contraire ». La démonstration, si nouvelle et intéressante soit-elle, tourne court. La question traitée est davantage l’emprisonnement – mental pour Elisabetta, physique pour Maria Stuarda – représenté au moyen d’une grille qui coupe le plateau aux deux-tiers dans le sens de la largeur. Les lumières de Daniele Naldi et une direction d’acteurs recherchée se chargent d’animer le propos. Le drame peut prendre place avec en son centre le final du premier acte, seul numéro où les deux reines se rencontrent.
Les injures fusent comme attendu, mais dans ce combat de catch lyrique, Elisa Barbero prend l’avantage. La voix d’essence dramatique accroche immédiatement. D’abord incertaine, la ligne s’affirme jusqu’à creuser un sillon profond. Le mot cingle et se tord. L’espace sonore s’embrase de couleurs violacées. Le tempérament fait le reste. Elisabetta n’est pas une virago mais une femme en détresse, un insecte venimeux pris dans la toile du pouvoir, dont on guette captivé chacun des mouvements.
Martine Reyners n’est pas moins douée de présence scénique. Jeune soprano d’origine belge (elle a fait ses débuts en 2007 après un diplôme du conservatoire de Gand et du Lemmensinstituut de Louvain), elle possède dans la voix des teintes automnales que l’on peut trouver de circonstance. Bien que disjoints, un médium combatif et un aigu angélique aident à dessiner les deux visages de la Stuarda, la quadrature du cercle en quelque sorte si le chant n’accusait un déficit de vocabulaire belcantiste.
L’objet amoureux de la querelle ne mérite pas tant de fureur. Dans le rôle pourtant surmontable de Leicester, Pietro Picone a oublié de faire annoncer une méforme qui est, souhaitons-le, la seule explication de sa contre-performance.
Le reste de la distribution tient son rang notamment le Lord Cecil, incisif mais toujours musical, d’Yvan Thirion.
A l’orchestre, Aldo Sisillo a du mal à contenir ses troupes. Le chœur, gêné par sa position à jardin derrière les grilles, s’effrite et accuse de fréquents décalages ; l’orchestre dérape à plusieurs reprises. Surtout, la lecture manque de la force dramatique nécessaire pour que les fauves puissent sortir de leur cage. Seule finalement, Elisa Barbero montre les crocs. Son nom est à suivre.