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MARTINU, Juliette ou la clef des songes – Nice

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Spectacle
14 mars 2025
Une occasion à saisir !

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra lyrique en trois actes (Théâtre National, Prague, 16 mars 1938)
Musique de Bohuslav Martinu
Livret du compositeur d’après la pièce de théâtre de Georges Neveux Juliette ou la clé des songes

Détails

Mise en scène, scénographie et costumes
Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil (Le Lab)

Collaboration à la scénographie et lumières
Christophe Pitoiset

Réalisation vidéo
Pascal Boudet

Graphisme
Julien Roques

Dramaturgie
Luc Bourousse

 

Juliette
Ilona Revolskaya

Michel
Aaron Blake

Le commissaire/Le facteur/le garde-forestier/L’employé
Samy Camps

La marchande d’oiseaux
Clara Barbier Serrano

La marchande de poissons/La petite vieille
Marina Ogii

L’homme au casque/Le vieux/Le mendiant aveugle
Louis Morvan

L’homme à la fenêtre/Le marchand de souvenirs/Le bagnard
Paul Gay

Le vieil Arabe/Le vieux matelot/ Le père Jeunesse/Le gardien de nuit
Oleg Volkov

Le petit Arabe/Le jeune matelot
Elsa Roux Chamoux

Les trois messieurs
Virginie Maraskin, Susanna Wellenzohn, Marie Descomps

Le chiromancien
Cristina Greco

Le chasseur
Audrey Dandeville

Le mécanicien
Florent Chamard

La vieille dame
Sandrine Martin

A l’accordéon

Karrinne Mussault

 

Chœur de l’Opéra de Nice

Direction
Giulio Magnanini

Accordéon
Karine Mussault

Orchestre Philharmonique de Nice

Direction musicale
Antony Hermus

Nice, Opéra municipal, mardi 11 mars 2025 à 20h

De quoi parle-t-on ? Notre langue désigne du même mot  « rêve » les productions de notre imagination à l’état de veille et celles qui apparaissent durant le sommeil.  C’est à ces dernières que Martinu s’intéressait particulièrement, et c’est sans doute pourquoi la pièce de théâtre de Georges Neveux Juliette ou la clef des songes le captiva au point de vouloir en faire le livret d’un opéra. L’offre venue de Prague le détermina à composer pour la langue tchèque, mais il tint la dernière année de sa vie à le réécrire en français. C’est cette version qui est donnée à l’Opéra de Nice, présentée comme intégrale, et on invite qui le pourrait à s’y rendre pour ne pas perdre cette rare occasion. A en juger par la durée on peut le croire, même si on aurait aimé que le programme de salle indique l’éditeur. On suppose qu’il s’agit de l’impression du manuscrit analysé par Harry Halbreich dans le précieux numéro de l’Avant-Scène Opéra édité en 2002. Mais l’extrait de la musique de la chanson  Fascination (1905) – Je t’ai rencontré(e) simplement, et tu n’as rien fait pour chercher à me plaire – dont l’accordéon égrène la mélodie a-t-il été inséré par Martinu dans sa composition ?

© DR

Après tout, pourquoi pas ? La popularité de cette valse ne s’est jamais démentie jusqu’à nos jours et certainement Martinu la connaissait-il, comme il connaissait les musiciens de son époque. Mais de la fosse monte un flot chamarré, un kaléidoscope où on croit reconnaître un écho de Rhapsody in Blue créé en 1924 – et n’est-ce pas le rythme de Pacific 231  (1923) – avant une modulation de Dvořák et un accent à la Bizet, pour ne rien dire des cadences et des couleurs à la Debussy. Par-delà la brièveté de ces touches, tout autant hommages que souvenirs, la partition foisonne, rutile, ondule, frétille, faussement primesautière et habilement déconcertante, les éclats voisinent avec les miroitements et le lyrisme avec le laconisme, admirablement accordée aux situations grâce au jeu des timbres, dans l’interprétation coruscante et diaprée qu’en donnent les musiciens de l’Orchestre Philharmonique qui applaudiront longuement le chef Antony Hermus.

La majeure partie de la distribution étant d’origine française ou francophone, seuls les deux premiers rôles pouvaient poser problème. Le ténor américain Aaron Blake, interprète du rêveur Michel,  était-il, comme prévu, équipé d’une oreillette ? En tout cas la clarté de sa diction était remarquable, sans fluctuer, et son émission aussi puissante que nécessaire et aussi lyrique que souhaitable. Son jeu de scène était adapté et est probablement révélateur d’une belle versatilité de comédien. Sa Juliette avait, il faut l’admettre, moins de fluidité dans l’articulation de notre langue, mais ces imperfections contribuaient à l’étrangeté du personnage, et les ressources vocales nourrissaient suffisamment les passages lyriques en dépit de la lutte à soutenir parfois contre le flot sonore. Et on ne peut reprocher à Ilona Revolskaya de tirer le personnage vers la vamp, car elle se conforme aux consignes des concepteurs telles qu’on les comprend à travers les images projetées et la sensualité qui lui est prêtée.

© DR

On ne détaillera pas minutieusement les mérites de chaque personnage, d’autant que certains chanteurs en incarnent plusieurs. Bornons-nous à constater à quel point la distribution réunie a su les faire vivre et jouer le jeu de cette fantaisie dramatique. Les artistes du chœur Virginie Maraskin, Susanna Wellenzohn et Marie Descomps ne sont pas en reste, dans leur trio de mystérieux fêtards égarés, tout comme Cristina Greco, chiromancien plein d’assurance, Audrey Dandeville, chasseur qui rêve du Far West, Florent Chamard, mécanicien qui regarde l’image de sa fille morte dans un album aux pages vides, et Sandrine Martin, vieille dame sortie d’un dessin de Ronald Searle qui promène ici son chien imaginaire quand elle devrait paraître à une fenêtre, comme Juliette trois ans avant, ajoutant ainsi une couche de doute et d’effroi. Mais nous y reviendrons.

© DR

Elsa Roux Chamoux a d’abord l’insolence d’un adolescent, puis l’ambigüité du jeune marin qui semble entretenir un rapport à la Genêt avec le vieux matelot, qu’un Oleg Volkov polymorphe campe avec la même autorité que le vieil Arabe, le Père La Jeunesse et le Gardien de nuit. Paul Gay donne une présence impressionnante à l’homme à la fenêtre, qui va croissant avec l’entreprenant marchand de souvenirs et  le bagnard dénué de scrupules. On en dira autant de Louis Morvan, tour à tour l’homme au casque colonial, le vieux qui va boire dans la forêt et le mendiant aveugle qui se trompe dans les jours. Si Marina Ogii est d’abord l’agressive marchande de poissons et puis la petite vieille en couple dans la forêt, Clara Barbier Serrano est la caquetante marchande d’oiseaux qui voit des voleurs partout. Samy Camps enfin endosse tour à tour le costume du commissaire, puis celui du facteur, avant celui du garde forestier et enfin celui de l’employé du bureau des rêves, avec l’aplomb scénique et vocal qu’on lui reconnaît.

Qui sont ces personnages ? Ont-ils une existence réelle ? Ou sont-ils le fruit de l’imagination ou des souvenirs de l’homme qu’une vidéo nous montre gisant sur un lit d’hôpital où il semble dormir, peut-être assommé par les sédatifs ? De sorte que tout ce que nous voyons et entendons n’est que la représentation de son activité mentale, de ses rêves ? Pourquoi pas ? Mais pourquoi, si le parti pris de cette production est d’être fidèle à la création de Martinu, elle-même fidèle à celle de Georges Neveux, qui piège le spectateur à la manière des rêves, où l’impression de réel est parfois si forte que tout semble vrai. En inventant cette situation d’un « homme au seuil de la mort qui revisite quelques moments forts de son existence »  les maîtres d’œuvre du spectacle, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil reprennent la démarche qui les avait conduits à rationaliser Rusalka, privant ainsi l’œuvre d’une partie de son charme et de son mystère.

© DR

On ne leur jettera pas la pierre, car on mesure la difficulté intrinsèque de la représenter.  Leurs choix aboutissent à un spectacle coloré et vivant, par la fantaisie des costumes, des accessoires, et une installation scénique très ingénieuse qui multiplie les images dans les miroirs disposés sur trois pans du décor. Ils constituent autant de portes favorisant allées et venues et peuvent en se déboitant devenir des tiroirs transparents. Sur le pan du fond de scène une plate-forme à mi hauteur contribue elle aussi à la variété des déplacements. Ils sont surmontés d’écrans où sont projetées des vidéos. Des séquences répétitives représentent, on le suppose, les rémanences obsessionnelles du patient, et on peut y lire des formules empruntées au surréalisme. Leur fréquence et les caractères choisis, des capitales, donnent à ces citations des allures de slogans; elles nous ont semblé oiseuses, car relevant plus du commentaire sur l’œuvre que de l’œuvre elle-même,

Selon le manuscrit mentionné plus haut, dont on suppose qu’il a servi de base à l’édition utilisée, l’opéra se termine, comme la pièce de Neveux, par un retour au décor initial et l’on entend à nouveau le dialogue initial, entre le jeune Arabe et son père, à propos d’un monsieur qui cherche l’Hôtel du Navigateur. Et c’est bien ce qui est représenté. Sauf que dans le manuscrit la Juliette à laquelle Michel vient de dire qu’il la voit et qu’elle est belle n’est pas derrière la porte qu’il  secoue, et elle ne lui répond pas. Or à Nice elle est derrière la porte, vient le chercher, et ils partent ensemble, tandis que le dialogue initial est repris. Nous permettra-t-on de le regretter ? La fin originale ne résout rien et laisse entière l’étrangeté de cette histoire dont la répétition ébauchée semble l’aveu d’une addiction semblable à celle des clients du Bureau des Rêves : le serpent se mord la queue.

© DR

Par ailleurs, parce que Martinu a séjourné à Nice, les metteurs en scène ont décidé qu’elle serait la  ville innommée dans le livret : opportunisme ou bévue ? Comment ont-ils pu ne pas voir qu’ils appauvrissent ainsi le sens ? Définir le lieu, c’est borner l’imagination, c’est empêcher de rêver, et c’est contradictoire avec le thème même de l’œuvre. Ce n’est pas le seul indice que (Le Lab) a du mal à se soumettre aux auteurs : les spectateurs sont accueillis à scène ouverte et sur l’écran central ils peuvent lire JULIETTE(S). Qu’est devenue la clef des songes ? Peut-on négliger cette expression qui depuis l’Antiquité – Artémidore d’Ephèse fut le précurseur – sert de titre à des ouvrages d’interprétation des rêves ? Freud en 1900, Bergson en 1901 et René Magritte en 1930 dans un tableau célèbre sont les agents de sa pérennité, ce dernier sous l’œil éclairé d’André Breton. N’eût-il pas mieux valu les convoquer que le bleu Klein ?

Mais ces réserves faites, ce spectacle, tel qu’il est, est déjà une réussite. Dans ces conditions, on lui souhaite longue vie. Honneur à l’Opéra de Nice qui a pris le risque d’un titre qui ne draine pas les foules !

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Opéra lyrique en trois actes (Théâtre National, Prague, 16 mars 1938)
Musique de Bohuslav Martinu
Livret du compositeur d’après la pièce de théâtre de Georges Neveux Juliette ou la clé des songes

Détails

Mise en scène, scénographie et costumes
Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil (Le Lab)

Collaboration à la scénographie et lumières
Christophe Pitoiset

Réalisation vidéo
Pascal Boudet

Graphisme
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A l’accordéon

Karrinne Mussault

 

Chœur de l’Opéra de Nice

Direction
Giulio Magnanini

Accordéon
Karine Mussault

Orchestre Philharmonique de Nice

Direction musicale
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Nice, Opéra municipal, mardi 11 mars 2025 à 20h

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