En Irlande, le festival de Wexford est un événement culturel incontournable, diffusé sur les ondes nationales et qui anime pendant quinze jours la pittoresque cité côtière avec pas moins de sept productions mises en scène et quatre vingt dix événements entre représentations, récitals, petites formes et autres conférences.
Après le feu d’artifice illuminant le port pour marquer l’ouverture des festivité, Le Maschere de Mascagni enflamment à leur tour le théâtre dans une version délicieusement farfelue.
Les masques en question sont ceux de l’hommage rendu par le compositeur et son librettiste Luigi Illica à la Commedia dell’arte. Méconnue, cette bouffonnerie ne démérite pas dans la production de Mascagni, dont la malédiction fut peut-être de faire de son coup d’essai un coup de maître avec Cavalleria rusticana.
Dès le prologue, le ton est donné puisque Lacan lui-même est convoqué pour justifier la transposition de l’histoire – même si le bien-être n’est pas franchement l’objet de la psychanalyse –… dans un « wellness center ». Ce spa-jardin tout en bambous géants et faux gazon est enrichi d’une paroi amovible percée d’une fenêtre se faisant miroir pour permettre aux artistes de nous dévoiler les loges où ils se maquillent, tout comme leurs changements à vue. Ainsi les masques tombent sans fin pour en révéler d’autres jusqu’à l’absurde.
En effet, les chanteurs commencent par se distribuer les rôles et présenter leurs personnages, archétypes du genre en tenue traditionnelle, pour mieux s’en dépouiller et endosser des oripeaux contemporains qu’ils abandonneront à nouveau à la fin de la représentation lors d’un final à la gloire du genre burlesque.
L’excellent chœur du festival passe lui la soirée en peignoir et chaussons. Les masques successifs délaissent donc le papier mâché pour ceux de gaze ou d’argile.
Transposition oblige, la scène de marché où Brighella fait l’article de ses choux se mue en une irrésistible distribution de tisanes ; les baignoires sont partagées comme les préoccupations ; les brumisateurs permettent opportunément aux larmes de sembler sincères ; les potions ramènent chacun à sa situation de pantin…
On l’aura compris, Stefano Ricci tire le meilleur parti de sa scénographie quand sa mise en scène légère et rythmée fait du spectateur un complice rieur.
Sa direction d’acteur précise, très individualisée, met en valeur le plateau vocal d’excellente tenue où se détache la formidable Lavinia Bini au soprano large et puissant, que l’on imagine bien volontiers dans le bel canto le plus échevelé mais qui se régale également de rôles plus légers puisqu’elle sera prochainement Ilia à l’opéra de Stuttgart.
La seconde soprano, Ioana Constantin Pipelea, n’est pas en reste en Colombina. Bien que son jeu n’ait pas l’aisance de celui de sa comparse, elle bénéficie d’un timbre à la belle présence, aux aigus faciles.
Son amoureux, Brighella est incarné par Gillen Munguia magnifique d’autorité, ténor puissant au son chaud. Benoit Joseph Meier lui donne la réplique avec brio en Arlecchino séducteur aux beaux aigus solaires tandis que Mariano Orozco est un barbon tout aussi brillant vocalement que scéniquement.
Ce Pantalone gère ici le spa avec sa fille Rosaura, déjà évoquée, et veut lui faire épouser le capitaine Spaventa, alias Matteo Mancini très à son affaire, doté d’une diction impeccable, comme l’ensemble de l’équipe. Celui qui brille le plus en cette dernière matière est sans doute, paradoxalement, Giorgio Caoduro dont le Tartaglia bégayant est hilarant tout comme sa brusque logorrhée vocale sous l’effet d’un filtre aux propriétés étrangement rossiniennes.
Parmi toutes ses voix masculines, c’est finalement celle du primo uomo, qui s’avère la plus fragile : Le Florindo de Andrew Morstein ne manque certes pas de qualités mais la projection est ce soir nettement défaillante, les aigus tendus. Ceci dit, le duo du second acte où les deux amoureux se cherchent parmi des rideaux de gaze mouvants – tels un labyrinthe délesté de ses enjeux dramatiques pour n’être plus que légèreté – n’en reste pas moins joliment émouvant.
L’émotion est également portée par l’orchestre du festival – en dépit de cordes à la justesse parfois approximatives – mais dirigé avec conviction et talent par Francesco Cilluffo, grand habitué du festival qui joue des contrastes et des couleurs en artificier expérimenté. Un spectacle à applaudir les 23, 26 et 31 octobre.