Coproduction des Opéras de Saint-Etienne et de Tours, cette version du Don Quichotte de Massenet arrive à Marseille, vingt-deux ans après la précédente. Cette longue absence explique-t-elle le succès d’affluence, pour cette troisième et dernière représentation ? Fabrice Malkani, à Saint-Etienne, avait apprécié la mise en scène « dépouillée et poignante » de Louis Désiré, adjectifs auxquels nous souscrivons. Mais ce dépouillement est-il un choix délibéré ou contraint ? Quand on attend le spectacle de la fête espagnole au sein de laquelle l’arrivée de Don Quichotte crée un hiatus – rappelons que depuis Don César de Bazan Massenet a composé quatre opéras et un ballet inspirés de l’Espagne – il nous est montré un lit à baldaquin défraîchi où git un homme qu’une foule anonyme uniformément vêtue de noir observe. Comment ne pas penser à ces tableaux où des bourgeois contemplent des objets scandaleux, danseuses, animaux de zoo ou aliénés à La Salpêtrière ? Et comment ne pas se demander si des impératifs économiques n’ont pas imposé cette austérité scénique ?
Quel était le projet du maître d’œuvre, Louis Désiré ? Sans note d’intention on en est réduit à des hypothèses. Pourquoi, objectera-t-on, ne pas s’abandonner à ce qui est proposé ? Simplement parce que la proposition déçoit nos attentes. La séduction plastique, grâce aux éclairages de Patrick Méeüs, est indéniable, la danse des chapeaux colorés, la « caverne » aux portes en miroir, il y a de belles images, mais que disent-elles de l’œuvre ? Le livret nous dit que Don Quichotte meurt d’amour déçu. Ce lit omniprésent indique-t-il dès le début que Don Quichotte est si malade, mentalement et physiquement, que les épisodes représentés sont seulement le fruit de son imagination délirante ou alors des souvenirs recomposés ? Ces mystérieuses présences masculines, « statues vivantes », sont-elles messagères de l’au-delà ou fantasmes récurrents ? Ce même lit accueille au quatrième acte la fête chez Dulcinée, ici une orgie où la belle se donne à ses quatre prétendants. Deux d’entre eux sont des blancs-becs et Massenet a prévu pour ces rôles des chanteuses en travesti. En les déshabillant le metteur en scène rend évidente leur féminité et oriente l’action de groupe vers un tableau dont on peut douter qu’il appartienne aux souvenirs ou aux fantasmes du héros. Et la perruque à la Marylin empruntée par Dulcinée n’éclaire pas davantage. Tout est à l’avenant, on peut donc dire que la cohérence est indiscutable. Quant à la pertinence…
Par bonheur, l’interprétation musicale et vocale emporte l’adhésion et soulèvera l’enthousiasme au rideau final. Nicolas Courjal semble se couler sans effort dans le personnage « hagard et rêveur », ce qui est le comble de l’art puisqu’il ne donne à aucun moment l’impression d’en faire trop, ni vocalement, ni scéniquement. Certes on pourrait le trouver trop proche de l’innocent de Boris et pas assez Chevalier à la Longue Figure, mais il se conforme probablement aux indications reçues. A ses côtés Marc Barrard – déjà interprète du rôle à Saint-Etienne – atteint justement l’ équilibre délicat entre comique et pathétique, et donne l’illusion d’une sincérité émouvante. L’un et l’autre contrôlent bien leur émission et le public les enveloppe dans la même bruyante approbation aux saluts.
La séduisante Dulcinée d’ Héloïse Mas porte avec élégance les toilettes de Diego Méndez Casariego ; si quelque problème de justesse nous a semblé fugitivement menacer l’aigu, la voix court et se courbe en volutes triomphantes tant pour vocaliser que pour paraphraser le « canto hondo » andalou. La mélancolie du personnage est peut-être un rien accentuée.
Le quatuor des prétendants est mené comme à Saint-Etienne par Camille Tresmontant et Frédéric Cornille, respectivement Rodriguez et Juan, et complété par Laurence Janot (Pedro) et Marie Kalinine (Garcias). Tous ces artistes savent dire et projeter comme il faut.
Bonne prestation aussi du chœur, préparé par Florent Mayet et excellente prestation des instrumentistes de l’orchestre – le solo de violoncelle ! – qui semblent avoir apprécié particulièrement la direction de Gaspard Brécourt. Précise et énergique, elle est tout autant nuancée et ce n’est pas le moindre des plaisirs que donnait cette représentation.