Adossé au festival de Valle d’Itria, l’Accademia del Belcanto Rodolfo Celletti accueille gratuitement une vingtaine de chanteurs et trois pianistes pour une année post-master. Sebastian Schwartz, le directeur artistique du festival se félicite de cette interaction vertueuse qui permet aux jeunes musiciens de mettre ainsi un pied résolu dans le métier.
Les cinq artistes de l’adorable Bel Boul sont donc en formation depuis le printemps. Leur professeur de chant précise qu’ils étudient ici non seulement les fondamentaux du Bel Canto, la tradition napolitaine du chant mais mènent également un travail historique de redécouverte du style. Indéniablement une brise bien française souffle sur la dolce vita dans le beau cloître blanc de l’église San Domenico. Le choix d’une partition aussi confidentielle peut surprendre mais la redécouverte d’œuvres rares est au cœur du projet du festival et pousse ainsi élèves et public à sortir des sentiers (re)battus du répertoire.
On ne peut le nier, le français est finalement le point faible de la soirée. Si les scènes parlées en italien, se révèlent parfaites – fait remarquable sachant que les chanteurs sont tous étrangers – les parties chantées, quant à elles, sont à difficilement compréhensibles. Crée pour seulement quatre représentations – deux dans les Pouilles et deux en Andalousie – , un surtitrage n’était pas envisageable.
Ceci dit l’intrigue, assez fantasque, n’est pas bien compliquée : nous voici plongés dans une Samarcande de fantaisie où la jeune Zaï-za ne pourra se marier avant que la fille de son tuteur, Bel Boul, ne trouve elle-même un époux. En effet, ce à quoi aspire Ali Bazar par dessus tout, c’est à « avoir la paix ». Or le personnage éponyme de la soirée, qui n’apparaît jamais sur scène dans la version originale, se révèle aussi affreuse qu’acariâtre d’après les descriptions de son entourage. Trouver chaussure à son pied semble donc plus qu’hypothétique. Fatime, la suivante de Zaï-za, manipule le derviche Sidi-Toupi amoureux de cette dernière pour obtenir la dote qui permettra à sa maîtresse de prendre son indépendance.
Le scénographe Paolo Vitale évoque joliment l’azur des architectures ouzbeks par un mur de cartons bleus, créant – comme il le souligne – un plaisant contraste avec le cloître immaculé du XVIIIe siècle, à la manière d’une installation contemporaine au cœur d’un lieu patrimonial.
Des costumes chatoyants complètent cet effet d’exotisme extravagant parfaitement dans l’esprit d’une œuvre que le compositeur lui-même qualifiait de « blague ».
Le style est délicieusement servi par quatre musiciens dans une formation inhabituelle (clarinette, trombone, percussion et piano) proche de celle voulue par Massenet (clarinette trombone, deux pianos). Elle fonctionne parfaitement : l’ouverture à la clarinette de Vito Manzari particulièrement séduisante dans son orientalisme en forme de clin d’œil tout comme l’intermède à quatre mains interprété avec allant par Francisco Soriano et Romolo Saccomanni.
Côté mise en scène, Davide Garattini s’est offert le plaisir d’ajouter quinze minutes de lever de rideau pour planter le décor de la soirée. Ali Bazar étant comme son nom l’indique, un marchand, le metteur en scène choisit d’en faire un fleuriste et nous régale d’échanges sur le thème du langage des fleurs, illustrés par les ravissantes mélodies de Massenet sur ce thème. Le résultat offre autant de légèreté que de poésie, parfaitement dans la note du reste de la soirée.
Il a également choisit de trahir le livret puisque Stefano Colucci, le jeune premier de notre histoire se travesti pour d’hilarantes interventions tout en borborygmes qui campent une Bel Boul odieuse à souhait, telle que le théâtre de tréteaux aurait pu l’imaginer. Le contraste est d’autant plus saisissant lorsqu’il revêt les oripeaux d’Hassan doté d’un ténor soyeux en dépit d’un vibrato un peu serré.
Le metteur en scène dit avoir eu un immense plaisir à caractériser chaque personnage et il s’avère effectivement un excellent directeur d’acteur au vu du naturel confondant avec lequel les artistes interprètent leur rôle, d’autant plus lorsque l’on sait qu’ils n’ont disposé que d’une dizaine de jours de création. Il a tiré chacun vers la commedia dell’arte.
Au premier rang de ceux-ci, s’impose la pétulante Fatime/Arlequin de Ronja Weyhenmeyer, soubrette au timbre délicieusement fruitée pleine de piquant, aux aigus faciles. Elle forme un duo de charme avec l’excellente Helena Ressurreiçao, ZaI Za/ Colombine toute en fraîcheur dansante. Le duo se fait trio lorsqu’intervient Ali Bazar/ Pantalon, débordé comme il se doit face à ces fortes femmes. Eugenio Maria Degiacomi creuse la veine comique avec aplomb de sa belle voix de basse ronde au focus affuté. Son duo avec Juan Jose Ramos Diaz est particulièrement savoureux.
Le Sidi-Toupi/ Capitan de ce dernier complète avantageusement la distribution de son timbre clair mais bien ancré dans le corps.
La saison prochaine sera française pour Davide Garattini puisqu’il travaillera notamment à Sofia sur la Cendrillon de Pauline Viardot avant de proposer un Faust à Tokyo.
Musicalement comme scéniquement les jeunes professionnels de l’Académie sont donc encadrés par une équipe de premier ordre.