Faut-il ajouter une ligne encore aux forces, nombreuses, de la production de Manon conçue par Olivier Py et décrite déjà par nos confrères à Bordeaux, Genève et Paris ? Ou bien s’attarder à en souligner les quelques impasses ? En effet, on pourra regretter que la mèche soit vendue dès le premier changement de nuisette et que le comique des deux premiers actes passe globalement à la trappe de cette lecture mordante du commerce de la chair et de la réification des femmes. Elle a le mérite de la cohérence et s’avère parfaitement rodée, la même équipe accompagnant immanquablement le metteur en scène français. Depuis Le Soulier de Satin au Théâtre de la Ville en passant par Aïda à Paris jusqu’à cette Manon, tout fait système chez Py et l’on regrette finalement l’absence de surprise.
Comme à Bordeaux, Mark Minkowski officie dans la fosse, à la tête d’une formation brillante dont il sait tirer le meilleur : soyeux des cordes pour souligner le lyrisme dès que nécessaire ; précision et mordant pour marteler le drame. Le chœur du Liceu, tout aussi irréprochable, porte avec bonheur les scènes de groupe en même temps qu’il se révèle très mobile.
Sur la Rambla, la deuxième distribution réunie fait la part belle aux chanteurs internationaux. Un refroidissement contraint Amina Edris à abandonner son époux à la ville et c’est Nadine Sierra, déjà dans les robes à lamés la veille, qui reprend le rôle. Voici donc trois chanteurs anglophones dans un classique du répertoire français. Et quels chanteurs ! Pas un soupçon d’accent ou de voyelles exotiques, pas une faute de style et des incarnations proches de la perfection. Jarrett Ott se coule dans le costume de Lescaut, transformé en proxénète, avec autant d’aisance que son chant suit les méandres de cynisme du personnage, avec la pointe de comique qui l’accompagne. Ce baryton sombre sait gonfler les muscles et rendre le personnage aussi inquiétant qu’autoritaire si nécessaire. Pene Pati triomphe une fois encore dans un rôle lyrique français. Diction et phrasé, brillance de la quinte aiguë, legato portent le portrait vocal à ébullition. Nadine Sierra enfin fait chavirer la salle. Depuis Bordeaux, le rôle est désormais tout à fait sien : tant la cantilène de la Manon sensible, que les pirouettes de celle frivole du Cours de la Reine sont exécutées avec une perfection d’orfèvre. Un timbre rond et égal se déploie sur un l’ambitus qui culmine dans un ré aigu époustouflant à la fin du quatrième acte. Nadine Sierra brille vocalement et illumine la scène d’une présence magnétique.
Jean-Vincent Blot en Comte des Grieux plein de morgue, Albert Casals risible à souhait en Guillot de Mortfontaine, ou encore nos trois coquettes… L’ensemble des seconds rôles réunis concourt à l’excellence de la représentation. Un succès éclatant de plus dans une saison riche qui achève d’installer Barcelone comme une scène lyrique européenne incontournable cette saison.