L’Opéra de Liège n’avait plus mis Werther à l’affiche depuis les représentations d’avril 1999 dans la production de Bernard Broca. Cette fois la mise en scène a été confiée à Fabrice Murgia qui avait réalisé dans ce théâtre Il turco in Italia en 2022, où déjà sa prédilection pour l’emploi de la vidéo était évidente. Comme dans l’opéra de Rossini, des cadreurs filment les personnages dont les visages en gros plan apparaissent sur le mur du fond scène, des images pas toujours très heureuses qui permettent cependant de saisir les diverses expressions des protagonistes et de traquer leurs moindres émotions. Ce procédé qui a tendance à devenir la marque de fabrique de Murgia, se révèle pertinent dans la première partie du spectacle, mais finit par lasser dès le début de la seconde, pendant l’air des lettres. L’époque de l’intrigue est respectée comme en témoignent les beaux costumes de Marie-Hélène Balau, notamment la robe rouge vif de Charlotte au premier acte qui symbolise sans doute la passion irrépressible qu’elle va inspirer à Werther. Les décors de Rudy Sabounghi sont réduits à l’état d’ébauches, la maison ouverte de Charlotte ne possède que deux parois latérales et pas de plafond. Plongée dans la pénombre au début du troisième acte, avec pour seul éclairage, la lueur de quelques bougies, elle évoque une chambre mortuaire. Au deuxième acte, des tables dressées sous deux rangées de lampions suspendus à des troncs d’arbres, évoquent la fête chez le Pasteur qui se déroule curieusement la nuit. Durant tout l’opéra ces arbres sont dépourvus de feuillage comme si le temps s’était arrêté. La direction d’acteurs, minimaliste, est néanmoins précise et efficace.

La distribution, totalement homogène, est dominée par les deux protagonistes principaux dont les moyens imposants leur permettent de maîtriser sans problème leurs partitions respectives. Arturo Chacón-Cruz aborde l’invocation à la nature avec une voix ample et solide. Ce Werther ne s’embarrasse pas de fioritures, peu de nuances, encore moins de diminuendos subtils dans sa méditation chantée à pleins poumons. Le duo du clair de lune est interprété avec davantage de retenue, en harmonie aves sa partenaire qui canalise sa grande voix afin de créer une atmosphère intime propice aux épanchements amoureux. Le ténor mexicain livre une fin de l’acte II poignante mais c’est son interprétation spectaculaire du Lied d’Ossian qui lui vaut une longur ovation de la part du public. La dernière scène de l’opéra se hisse au même niveau d’émotion. A ses côtés, Clémentine Margaine campe un personnage volontaire et déterminé. Sa voix puissante et bien projetée n’est pas sans évoquer le souvenir des grandes Charlotte qui se sont illustrées à l’Opéra-Comique dans les années d’après-guerre. Son air des lettres est un modèle d’expressivité et sa prière sonne comme un cri de désespoir avec d’impressionnantes montées vers l’aigu. Dans le duo final, elle rivalise d’intensité dramatique avec le ténor. Elena Galitskaya campe une Sophie touchante qui s’impose grâce à sa voix claire, son timbre lumineux et sa musicalité. Ivan Thirion est un Albert ombrageux à souhait, un peu en retrait cependant. Loin des basses en fin de carrière qui interprètent habituellement ce personnage, Ugo Rabec incarne un Bailli d’allure juvénile, doté d’une voix saine et bien timbrée, qui chante avec un style impeccable. Samuel Namotte et Pierre Derhet dont la voix sonore capte l’attention, jouent leurs personnages sans sombrer dans la caricature, tandis que Lucie Edel et Jonathan Vork, tous deux membres du Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie, complètent avec bonheur la distribution.
Saluons également la prestation exemplaire des enfants de la Maîtrise de l’ORW.
Giampaolo Bisanti, Directeur musical de la Maison depuis 2022, dirige avec ferveur et une grande précision, cette partition dont il se plait à exacerber les contrastes à des fins théâtrales.