C’est un Werther de première que nous propose l’Opéra du Rhin en cet après-midi de février… ou de secondes plutôt ! En effet, trois des principaux protagonistes, Pene Pati en Werther, Adèle Charvet en Charlotte et Florian Sempey en Albert, ont opéré leur prise de rôle respective pas plus tard que vendredi à Genève où le spectacle a été étrenné ! Et nous partageons largement l’enthousiasme de notre confrère présent à Genève.
Si Massenet a donné peu de matière à Albert pour briller, Florian Sempey s’en empare et parvient à lui donner un relief inhabituel, quitte à le rendre encore plus antipathique qu’habituellement. Au-delà de l’autorité de son baryton cuivré et de la diction soignée, il faut voir comment il aboie sur « Charlotte » quand elle ne vient pas assez vite à son goût à l’acte 3.
Adèle Charvet est une Charlotte intense, très habitée scéniquement. La voix, homogène sur toute la tessiture, possède une clarté qui rend toute sa fraîcheur et sa jeunesse au personnage (qui est supposé avoir une vingtaine d’années). Il ne faut pas rechercher ici des éclats crucifiants dans la scène des lettres dont nous ont gratifié historiquement certaines interprètes, mais la douleur est bien là, intérieure. On regrettera en revanche que le texte se perde parfois.
Le Werther de Pene Pati serait-il un contre sens ? On pourrait en effet s’interroger si la lumière du timbre, caressant et soyeux, est la mieux à même de traduire les tourments du jeune homme torturé. De même, les épisodes les plus dramatiques (« Un autre est son époux ») poussent la voix dans ses retranchements. Pourtant on ne peut que rendre les armes devant l’évidence de cette incarnation. On admire l’usage subtil des mezza voce tour à tour enjôleuses ou sépulcrales, ou les aigus rayonnants (notamment cette exclamazione – aigu pris forte puis diminué avant d’être réamplifié – à l’acte 1). Mais ce qui bouleverse peut-être le plus cet après-midi c’est le soin maniaque porté à la diction, à la scansion, au sens des mots, qui font les grands Werther.
Il n’y a d’ailleurs aucune fausse note dans la distribution réunie autour d’eux.
La Sophie de la soprano québécoise Magali Simard-Galdès est pétillante, au timbre parfaitement juvénile mais sans acidité aucune. Le Bailly de Pierre-Yves Pruvot (un luxe) ainsi que les Schmidt et Johann d’Alix Varenne et Sebastià Peris sont truculents à souhait.
L’orchestre de Chambre de Genève, complété par des étudiants de la Haute École de musique de Genève-Neufchâtel, sous la direction de Marc Leroy-Calatayud, séduit par sa rigueur et l’homogénéité des pupitres, avec un son ouaté dès le prologue. La puissance est parfaitement dosée, ne couvrant jamais les chanteurs. Tout juste regrettera-t-on un léger manque de fondu par moments, qui ne parvient pas à rendre tout à fait le caractère suspendu de la scène au clair de lune.
Les petits chanteurs de la Maîtrise du Conservatoire populaire de Genève sont charmants quand bien même la fatigue se sent en fin de spectacle. Il faut dire qu’ils sont un peu malmenés par le tempo précipité que leur impose le chef à des fins dramatiques lors de leur intervention hors scène à l’acte 4.
Enfin la mise en espace de Loïc Richard réussit, avec très peu de moyens (deux chaises et une table en avant-scène, une passerelle en arrière-scène, quelques accessoires et des éclairages variés) et sans vouloir innover à tout prix, à rendre l’essence du drame. Pas de partition ou de pupitres, les chanteurs jouent ici et on se laisse prendre au jeu et aux voix.