Précédé d’une réputation flatteuse outre-atlantique, le travail de la compositrice Missy Mazzoli était attendu avec curiosité à Paris. Pour mesurer son influence actuelle, on notera qu’elle est une des premières femmes à avoir reçu commande du Metropolitan Opera pour 2026, et c’est son deuxième opéra (sur quatre déjà écrits) qui a été donné le 29 mai à l’Opéra Comique en création française grâce à une de ces coproductions si fécondes entre opéras. Commande de l’Opéra de Philadelphie pour la saison 2016, l’opéra est né d’une idée du librettiste de M. Mazzoli, Royce Vavrek : écrire un texte inspiré du film Breaking the waves, Grand Prix à Cannes en 1996, dont l’histoire le fascine depuis l’adolescence.
L’intrigue est donc celle de la mystique Bess Mc Neill, jeune fille dont on ne sait si elle est « la bonté » même ou une folle, quasi prisonnière sur l’Île de Skye au Nord de l’Angleterre d’un amour destructeur et d’une communauté réactionnaire calviniste qui la condamne. De fait, l’opéra s’intéresse autant à l’ambiguïté des personnages mise en avant dans le film de Lars von Trier qu’à la dénonciation du patriarcat religieux et de la mesquinerie d’une petite communauté isolée. Remarquablement incarnée par une troupe formidable de jeunes chanteurs, superbement mise en scène par Tom Morris, l’œuvre marque particulièrement grâce à ses scènes chorales.
Sur une scène assombrie que percent et habillent les très belles lumières et la vidéo, un mur de falaise se transformera grâce à une scénographie virtuose, rythmée par les va-et-vient du plateau selon les tableaux, en un bord de mer battu par l’océan, une chambre nuptiale ou d’hôpital, une salle de banquet, une plateforme pétrolière et un temple presbytérien. Les duos ou trios apparaissent musicalement moins intéressants que les grands ensembles (conformisme d’une certaine esthétique compositionnelle ou maladresse de la fosse à organiser et varier ces strates musicales horizontales fondées jusqu’à l’ennui sur une écriture récurrente : une ligne entêtante rythmique, un ostinato que trouent les appels d’instruments souvent doublés ?) Ils sont néanmoins transcendés par l’interprétation habitée des chanteurs.
De presque toutes les scènes, la créatrice du rôle de Bess, la soprano américaine Sydney Mancasola, brûle le plateau avec son charisme d’actrice prête à tout (dans des scènes plutôt crues), sa mezzo voce tenue en un lamento poignant ou ses élans amoureux et mystiques aux aigus brillants (« His name is Jan »). Le plus admirable étant sa voix extraordinairement travaillée vers l’extrême de la tessiture, voix dévolue à Dieu que double un excellent chœur Aedes en fusion. Ce sont des passages que la compositrice réussit parfaitement, de même que les paysages sonores au lyrisme ténébreux, qu’enrichit un instrumentarium original pour colorer cette tragédie. Les scènes chorales sont vraiment de loin les scènes les plus convaincantes, et l’Ensemble Aedes sous la direction de Mathieu Romano brille. Le sculptural baryton Jarrett Ott dans le rôle du mari étranger, Jan Nyman, travaillant sur une plateforme pétrolière, est un interlocuteur idéal. Leurs proches ne le sont pas moins : l’ami du marié, Terry, rôle que possède parfaitement Mathieu Dubroca d’Aedes, la sœur de Bess, la Dodo fine et merveilleuse de la mezzo Wallis Giunta ou le noble Dr Richardson d’Elgan Llȳr Thomas sans oublier leur ennemi, le chef glaçant de la Communauté de l’île, la basse Andrew Nolen aux graves impressionnants.