Remonter un spectacle de foire est toujours délicat. Les tentatives de reconstitution à l’identique échouent quasi systématiquement : pour ces spectacles d’essence populaire d’une part les improvisations et les pratiques non-écrites étaient courantes, les traces qui nous en sont parvenues sont donc forcément lacunaires, d’autre part, leur humour parodique se nourrissait de références connues à l’époque de tous, aujourd’hui de quelques spectateurs spécialistes qui ne gouttent pas forcément l’humour de tréteaux. Pour contourner ces difficultés, l’équipe artistique de ce soir a choisi de créer un spectacle de foire dans l’esprit de l’époque, en sa laissant toute latitude pour le choix des textes (Corneille, Carolet, Romagnesi, Euripide) et de la musique (Charpentier, Lully, Rameau, Marais, Destouches, Dauvergne…), et en se référant à un mythe toujours célèbre, celui de l’infanticide Médée. La démarche est passionnante littérairement et musicalement (liste des sources au pied de cet article), le résultat n’est pas pour autant convaincant. En raison d’abord d’un déséquilibre dans l’alternance des passages joués et chantés : qu’elle est longue cette première confrontation entre Médée et Jason ! En raison ensuite d’une mise-en-scène hystérique de Pierre Lebon et qui, se voulant potache, est trop souvent éculée : on ne comprend pas toujours les textes, cela gesticule beaucoup trop, se répète souvent, et ne fait pas beaucoup rire. Les moyens sont pourtant là : spectaculaire navire renversé dont le pont aux colonnes antiques branlantes sert de scène, costumes travaillés et bigarrés (la tenue de toréro de l’héroïne, l’accoutrement fin de soirée arrosée à Versailles de Créuse…), maquillages outranciers jusqu’aux musiciens grimés.
Les artistes réunis aussi sont un luxe, mais tous semblent dépenser leur énergie débordante en vain. Ingrid Perruche est tarte à souhait, Flannan Obé fat et coquin, Matthieu Lécroart burlesque au possible, Eugénie Lefebvre fait le grand écart entre vulgarité ancillaire et raffinement mélancolique (le dernier air), tandis que Lucile Richardot confère la solidité de son verbe et la puissance de son émission à une Médée virago. L’Ensemble Les Surprises dirigés avec verve par Louis-Noël Bestion de Camboulas contribue à imprimer son rythme effréné et sa personnalité à un spectacle qui malgré cela tourne à vide.