Il était courant au XVIIIe siècle, lorsqu’un opéra avait du succès, que des troupes populaires s’en emparent et proposent à un public très large, et sous la forme d’un spectacle de tréteaux, des parodies reprenant quelques airs fameux de l’œuvre originale, entrecoupés de musiques populaires, ou d’extraits d’autres œuvres avec un recours abondant au texte parlé. Ces spectacles étaient plus souvent le fait de saltimbanques plutôt que de chanteurs professionnels, l’humour et la dérision l’emportant sur les qualités strictement musicales.
C’est très exactement dans cet esprit-là, burlesque et irrévérencieux, que le chef d’orchestre Louis-Noël Bestion de Camboulas s’est emparé d’un sujet très propice à dénoncer le ridicule qui peut parfois se cacher derrière les sujets les plus tragiques, les amours tourmentées de l’infatué Jason et de la déraisonnable Médée, folle d’amour, aveuglée par la passion, Médée l’empoisonneuse, l’infanticide qui ne craint aucun excès.
Sur le plan musical, le spectacle est fait de fragments d’opéras baroques, le plus souvent orchestraux, entrecoupé de quelques airs et de nombreux dialogues parlés, et issus de partitions diverses, mêmes si elles relèvent toutes de la même esthétique du baroque français. C’est très habilement conçu, les raccords sont à peine audibles et les tonalités s’enchaînent sans heurts. Sur le plan de la construction dramatique, c’est moins élaboré, voire même carrément bancal ou plein d’invraisemblances. Qu’importe, l’humour masque tout cela, un humour bien gras, tour à tour burlesque ou scatologique, que les comédiens/chanteurs distillent avec délectation, sous la direction magistrale de Pierre Lebon, le metteur en scène particulièrement imaginatif qui a conçu tout cela avec la complicité du chef.
Le décor unique fait penser au théâtre ambulant de Molière tel qu’Ariane Mouchkine l’avait reconstitué dans son film de 1978, brinquebalant à tous les vents, à la fois somptueux et dérisoire, éminemment poétique, et qui, par quelques jeux de lumière, peut suggérer les plus nobles palais, un bateau, un incendie, les paysages de la Grèce antique et que sais-je encore. Une toile de fond, inspirée de la meilleure peinture de l’époque, suffit à préciser les lieux. Dans un coin du plateau, mais participant à l’action de ce spectacle échevelé lorsqu’elle nécessite quelques interventions complémentaires, les musiciens de l’ensemble Les Surprises en petit nombre et déguisés en marins, pourvoient à tout avec une ardeur, une inventivité et une énergie sans limite. Ils sont l’élément le plus solide de cette production, qui lui donne sa structure, sa rigueur tout en le faisant avancer sans faiblir. Et ils y prennent manifestement beaucoup de plaisir, qu’ils communiquent aussitôt au public, un vrai régal.
Les chanteurs aussi prennent un grand plaisir à ce qu’ils font, tenant la salle en haleine, sortant de leurs rôles pour des apartés délirant, composant avec les codes du théâtre de boulevard, ceux de la Comedia del Arte et ceux du cinéma burlesque, qui semblent constituer leurs principales références. Les cinq rôles principaux, Lucile Richardot en Médée et Flannan Obé en Jason, Ingrid Perruche en Créuse, Matthieu Lécroart en Créon et Eugénie Lefebvre en Cléone/Nérine, contribuent également à la réussite de la soirée.
Dès lors, juger des qualités individuelles de chaque participant, alors qu’il s’agit visiblement d’un travail collectif, d’une performance de troupe, n’aurait pas beaucoup de sens. L’efficacité théâtrale est remarquable même si globalement, on peut dire que le travail d’acteur a été plus investi que celui de chanteur, pour lequel on relève quelques faiblesses ici et là. Cependant, la crédibilité des personnages n’en souffre guère ; le but est avant tout de divertir, de faire rire de bon cœur, et sur ce plan-là, la réussite est parfaite.
On regrettera, en passant, que cette production soit la seule incursion dans le monde de l’opéra présentée cette année au Festival de Radio-France Occitanie Montpellier, qui s’est attribué pour sa 38e édition le qualificatif de « nouveau festival ». On est loin des années fastes d’antan qui proposaient chaque année des découvertes et du grand répertoire, qu’ils rendaient accessibles dans de très bonnes conditions à un public très large.