Mefistofele n’est pas a priori un opéra populaire ni fréquemment représenté. Pourtant, il tente de plus en plus de directeurs de salles, et surtout de metteurs en scène. La présente production, créée à l’opéra de Lyon l’an dernier (voir le compte rendu de Fabrice Malkani), est maintenant donnée à l’Opéra de Stuttgart, coproducteur, avec une autre distribution. C’est un spectacle foisonnant, selon l’habitude de la Fura dels Baus, mais les partis pris sont-ils pour autant adaptés à l’œuvre ? Le dispositif scénique d’Alfons Flores, en quatre plans encombrés de passerelles métalliques, n’est pas sans rappeler l’impressionnante production scénique munichoise de Piero Vinciguerra (2016), mais alors qu’à Munich les éclairages jouaient un rôle fondamental, ils sont ici singulièrement moins efficaces.
Mais c’est surtout la mise en scène d’Àlex Ollé qui déçoit. Sans guère d’inventivité, et qui plus elle sans aucune référence au Sacré, elle donne l’impression d’être faite de trucs et de ficelles déjà vus cent fois. Car en dehors du nombre d’ailes d’anges desquelles, certes, l’œil peut se satisfaire, que dire du côté revue de music-hall, ou encore des mouvement sur place des chœurs, en de vagues danses des années 60, dont le perpétuel déhanchement n’est pas suffisamment varié pour susciter l’intérêt, mais dont la masse mouvante arrive quand même à détourner l’attention des spectateurs au détriment des acteurs principaux.
Mika Kares (Mefistofele) © Photo Thomas Autin
Le rôle principal reste dévolu à Mefistofele, mais le metteur en scène a voulu en finir avec les diables cyniques et enjôleurs, parfois même drôles. Celui-ci est en prise avec des problèmes existentiels qui le dépassent visiblement, et avec des migraines fréquentes déclenchées par les chœurs célestes. En tous cas, ce n’est pas un bon diable, il s’agit ici délibérément d’un méchant, sinon même d’un pervers sexuel, qui égorge de jeunes anges, repousse les femmes les plus charmantes, et finit par égorger à son tour Faust quand il comprend qu’il ne sera jamais vainqueur. C’est sans doute pourquoi les anges lui arrachent son cœur en début de spectacle, pour bien faire comprendre qu’il n’en a pas ! Quant à l’atelier de dissection qu’il semble diriger, on ne comprend pas très bien à quoi il correspond ni ce qu’il peut signifier. Ce diable au total plutôt antipathique est magistralement campé par Mika Kares, haute stature dominant la situation d’une voix sombre parfaitement projetée, aussi bien que les forces orchestrales et chorales. Il ne fait pas oublier les grands titulaires du rôle, mais offre une belle performance vocale.
Antonello Palombi est Faust. Il a dû lui aussi composer le personnage voulu par le metteur en scène, une espèce de bourgeois ni jeune ni beau, mais certainement sincère, dont on se demande un peu ce que Margherita peut lui trouver d’intéressant. Mais il est vrai que c’est surtout Méfisto qui s’intéresse à lui, comme d’un sujet d’expérience à dominer sinon à disséquer. Cet artiste, qui a un énorme répertoire et chante dans le monde entier, ne vous est pas inconnu : rappelez-vous l’air ébahi d’Amnéris lorsqu’un Radamès en jeans et polo noir prend en un clin d’œil la place de Roberto Alagna, sorti sous les huées du poulailler. Eh bien, ce ténor de la seconde distribution, c’était lui, en ce 10 décembre 2006 à la Scala de Milan. Passée cette anecdote entrée dans l’histoire de l’opéra, on retrouve ce soir un chanteur de grand potentiel, avec une voix claire et musicale ainsi que des intonations et des nuances subtiles, qui ne sont pas sans rappeler celles de Luciano Pavarotti. La puissance sonore qu’il déploie, tout à fait adaptée à l’œuvre, passe sans difficulté au-dessus de l’orchestre, et s’accorde parfaitement avec celle de Mefisto. Il a un peu tendance au début à faire le « chanteur italien » du Chevalier à la Rose, mais entre ensuite assez rapidement dans le rôle de Faust, dont il assure avec Mefisto une magnifique et impressionnante scène finale.
Olga Busuioc, Margherita et Elena, ne démérite pas aux côtés de ses deux compères, d’autant qu’elle allie à une grande puissance vocale dans les aigus et à de beaux graves, une voix parfaitement bien maîtrisée, sans aucun vibrato (ce vibrato qui entache les interprétations de la plupart des titulaires du rôle). Malheureusement, son absence de médium la rend difficilement audible dans les ensembles où elle doit utiliser ce registre, et ce dès les premiers rangs d’orchestre, ce qui retire beaucoup à la véracité du personnage. Son jeu plutôt stéréotypé est un autre handicap. En revanche, elle a chanté avec beaucoup d’émotion son air « L’Altra notte » ainsi que celui d’Elena. Fiorella Hincapié joue et chante fort bien les petits rôles de Marta et de Pantalis, de même que Christopher Sokolowski interprète ceux de Wagner et de Nereo, d’une jolie voix mais d’un jeu vraiment par trop niais.
Le chef Daniele Callegari, habitué de l’œuvre, mène son monde avec un dynamisme entraînant. Les chœurs ont d’autant plus de mérite à briller qu’ils interprètent une partition qu’ils n’ont guère l’occasion de pratiquer.