Londres honore Méhul. Et la France ? demanderont certain. Patience, nous ne sommes encore qu’en février de l’année marquant le bicentenaire de la mort du compositeur lorrain, et à défaut de commémoration nationale, on aura sans doute encore l’occasion de signaler diverses initiatives, comme certaine Stratonice donnée à Paris, sur laquelle on reviendra dès la semaine prochaine.
Si l’on joue Méhul à Londres, tant mieux pour les Anglais qui découvriront ainsi sa musique. Et si les interprètes sont anglophones, le projet revient au très francophone Palazzetto Bru Zane : l’indispensable Centre de musique romantique française, non content de publier l’Uthal enregistré l’an dernier à Versailles, avait décidé de faire retentir le même jour sa musique avec le concours d’un ensemble britannique. The Orchestra of the Age of Enlightenment est régulièrement invité au festival de Glyndebourne, ce qui n’est pas rien : on l’a ainsi entendu dans l’extraordinaire Saül donné il y a deux ans, et il y est régulièrement en fosse pour les Mozart. Jonathan Cohen y dirigeait Les Noces de Figaro l’été dernier, et le concert donné en l’ex-église St John’s, Smith Square, permet de voir tout l’enthousiasme et toute l’énergie que ce jeune chef met à diriger ses musiciens, avec un résultat totalement convaincant dans les nombreuses pages orchestrales qui composent le programme, en alternance avec les airs chantés. Cette fougue nous vaut notamment une superbe ouverture d’Astyanax de Kreutzer, et bénéficie également à l’étonnante Cinquième Symphonie laissée inachevée par Méhul, qui n’eut le temps de composer que deux mouvements sur les quatre attendus.
Présenté comme « le premier romantique », Méhul était ici escorté de ses contemporains, français et assimilés – Gluck et Salieri – ou allemands – Mozart et Beethoven. S’il n’eut pas nécessairement leur génie, du moins sut-il trouver des accents originaux qui donnent à sa musique un caractère parfois assez imprévisible et, dans ses pages les plus réussies, une saisissante beauté. Sur les six airs prévus, un seul n’est pas de Méhul, nous y reviendrons. Par rapport au programme annoncé de longue date, première surprise : outre le ténor vedette, un autre ténor est à l’affiche. Un duo se cache-t-il parmi ces titres ? s’interroge le mélomane. Point du tout, et les deux premiers airs sont confiés au seul John Irvin, jeune chanteur américain. L’artiste est expressif, la voix n’est pas vilaine, malgré quelques nasalités, mais elle est vite couverte par l’orchestre. Et si le français est globalement intelligible, de gros progrès restent à accomplir en matière de prononciation, en particulier pour les habituelles syllabes problématiques pour les non-francophones : il faut vraiment se référer au programme pour comprendre la phrase « en vain je veux la fuir » dans l’air extrait de Mélidore et Phrosine.
Bien sûr, celui qu’on attendait, c’est l’excellent Michael Spyres, qui semble avoir décidé, au milieu d’un agenda chargé, de se réserver pour les morceaux les plus exigeants, à commencer par celui avec lequel il fait enfin son entrée, le célébrissime air de Fidelio. Beethoven a-t-il souvent été chanté par des ténors rossiniens ? L’expérience est en tout cas on ne peut plus concluante. Admirablement projetée, la voix de Michael Spyres remplit d’emblée toute la nef ; là où tant d’autres s’étranglent et s’époumone, ce Florestan-ci lance avec une superbe aisance les aigus meurtriers qui s’accumulent quand le prisonnier finit par avoir la vision de son ange, Léonore. Le ténor américain revient pour un air à peine moins exposé, tiré d’Euphrosine ou le tyran corrigé, qu’il interprète dans un français parfait. Et après avoir chanté la douleur du père d’Ina (la Ginevra haendélienne, puisque l’Ariodant de Méhul conte évidemment la même histoire qu’Ariodante), Michael Spyres offrira au public conquis un bis tiré du même opéra, sur un registre plus tendre, où sa voix peut se montrer suave, après avoir été tour à tour vaillante et tragique. Annonçant ce bis, le ténor aura salué les efforts de « the Bru Zane people », et l’on ne peut que se joindre aux applaudissements alors obtenus, en espérant que d’autres occasions nous seront ainsi offertes d’entendre cette musique bicentenaire.