Quelque blasé questionnait bien l’intérêt que l’on pouvait trouver à programmer seulement le deuxième acte de Tristan après déjà plusieurs reprises à l’opéra Bastille ; dès les premières mesures du prélude sous la direction de Daniel Harding, l’entreprise se justifia d’elle-même.
Ce premier contact du chef avec l’oeuvre, prudent donc, dans un deuxième acte qui soulève pourtant de grandes questions d’interprétation, nous a enthousiasmé. On expliquera facilement l’accueil froidement indifférent que le public du 5 (d’allure bien wagnérienne) lui a réservé aux saluts : ce n’était pas l’orchestre gargantuesque et les cuivres titanesques qu’attendent les amateurs d’onanisme décibelien. Il suffisait plutôt de laisser trainer l’oreille sur l’une des voies de cette immense fugue qu’a construite Harding dans ce prélude, puisqu’aucun climax n’arrivait pas hasard, aucune piste n’était abandonnée : la dimension intime de cet orchestre imposait peut-être de renoncer aux effets de masse dans les pupitres de vents mais permettait une vision très linéaire et contrapuntique, réservant des sonorités inattendues. On peut s’interroger sur la sagesse de cette interprétation très analytique une fois l’orchestre en fosse, mais lors de ces deux soirées la clarté et l’intelligence de la lecture de Harding méritait autant d’éloges que le Mahler Chamber Orchestra.
John Mac Master tenait le 5 novembre une prestation (avec partitions) juste à la hauteur d’un remplacement, et il aurait fallu plus de présence et plus de phrasés soutenus (le bas-médium était malheureusement trop abandonné) pour lui épargner les quelques huées de la soirée de jeudi. Deux jours plus tard, on retrouve enfin un Tristan un peu plus incarné : donnant véritablement la réplique à sa partenaire dans le duo d’amour avec des aigus solaires, il nous laisse moins indifférent dans sa reprise à la fin du monologue du roi.
Michelle Breedt donne ce qu’il faut de dramatisation pour le rôle de Brangäne, avec une projection idéale et un timbre très saillant, ce qui, pour certain, peut bien faire regretter lors des appels en coulisses des voix plus voluptueuses (on pense à E. Gubanova dans la derrière reprise à Bastille). ). Changement d’ambiance avec Michael Vier, Melot superlatif au volume impressionnant !
On trouvait finalement le grand couple de la soirée chez les vétérans des rôles d’Isolde et de Marke. Un des plus grands moments de la soirée en effet avec le monologue du roi où l’on retrouve la puissance rhétorique de Franz-Josef Selig ; encore l’intelligence du texte, cette même musicalité sombre et paisible, la même présence. Enfin, Waltraud Meier : aucune réserve. Si lors de sa dernière apparition (malade) à Paris elle nous avait semblé en difficulté, ici, on est séduit par cette diction inimitable, le sens du verbe, un timbre incandescent, des contre-ut qui semblent se résoudre à l’autre bout de Paris. Son énergie autoritaire nous impose malgré nous les images sublimes de la production de Bill Viola (la flamme avec Brangäne !) ; le 7 novembre elle conduit le duo avec une énergie et une expressivité impressionnante. Isolde désormais légendaire qui émaille donc une soirée « expérimentale » d’un bien bel accomplissement.