Vous connaissez peut-être le personnage de nazi dans OSS 117 Rio ne répond plus et celui du SS de l’opus précédent (tous deux de Michel Hazanavicius) implorant « une seconde chance » afin de ne pas devoir jouer les méchants, en se demandant pourquoi les scénaristes leur font toujours jouer le mauvais rôle (des scènes parodiques hilarantes). Dans la même veine le compositeur portugais Vasco Mendonça et son librettiste Gonçalo M. Tavares ont eu l’idée brillante de réhabiliter le loup mangeur d’hommes et de grands-mères dans l’opéra pour enfants commandé par le Dutch national Opera et créé en 2022. L’Opéra national de Paris accueille pour quelques jours à destination de son jeune public cette œuvre guère appréciée si l’on en croit les réactions des enfants à la sortie du spectacle ce mercredi 31 janvier.
Et on les comprend. Si l’équipe artistique se révèle quasi sans défaut (particulièrement les sopranos Pauline Texier et Lise Nougier, les quatre musiciens de l’Ensemble Spectra), la mise en scène plutôt inventive dans son économie, ce théâtre musical au langage polytonal, répétant le plus souvent ses structures non fluides et discontinues, dispense un ennui poli. Ce qui se révèle rapidement être un habillage musical dispensateur d’atmosphères (angoisse, suspens, happy end) étouffe rapidement les rires des enfants, des spectateurs pourtant tout acquis au début de l’œuvre. Les belles idées de la metteuse en scène Inne Goris ne suffiront pas à ranimer l’attention. Bref c’est raté et c’est dommage.
Tout semblait avoir bien commencé avec ces quatre musiciens en fond de scène : une clarinette ou un saxo, un violoncelle, une guitare électrique et un dispositif impressionnant de percussions (vibraphone, roto toms, et idiophones en tous genres). Devant eux, une énorme jardinière figure la nature où les deux sopranos (deux chasseurs) guettent le loup (à la tête postiche magnifique) interprété par le contre-ténor Fernando Escalona (dont la voix de fausset est tout sauf suave, plus qu’inconfortable à l’oreille : la réhabilitation sera décidément pour une autre fois). Notons tout de même qu’il délivre de superbes « Hou hou hou » quand le Loup souffre, un « chant » et non un « hurlement », qu’on se le dise.
C’est amusant.
Ce loup traqué n’est pas méchant nous chante ensuite Rosa alias le petit Chaperon rouge, il est victime des « préjugés » (sic) des hommes. C’est donc le point de vue de la bête qui sera adopté pour nous raconter ses aventures.
Afin d’enseigner à nos enfants le riche prix de l’altérité et de l’inclusion des victimes de rumeurs mensongères et de mauvais procès en méchanceté, les Trois Petits Cochons de nos contes ne sont plus que deux ici et tentent de nous persuader qu’ils se trompent sur les intentions du Loup, de même que la Mère-Grand dévorée s’en sort au troisième acte et n’est finalement qu’un vilain chasseur déguisé. Soit. Il est gentil Monsieur le Loup, mais il est méchant Monsieur l’Homme (air connu).
Entre-temps Rosa (la fine Pauline Texier très investie, capable d’un chant à l’agilité très tendue, une nécessité pour ce rôle) en routarde dégourdie aura tenté d’envoyer le Loup sur la lune puis le sauvera carrément des griffes d’un méchant chasseur (la grand-mère donc, vous suivez toujours ? C’est la talentueuse Lise Nougier).
La scénographie et les lumières de Stef Stessel ont beau joliment habiller les scènes nocturnes en diable, les duos et solos des chanteurs nous laissent de marbre. Malheureusement la musique révèle davantage son potentiel hypnotique (celui du somnifère) que sa capacité à nous faire entrer dans les âmes des personnages. Le chasseur peut nous expliquer qu’il veut tuer le loup car il lui « fait peur » et qu’il est lui-même environné « par ses propres ténèbres », ce prêchi-prêcha mystique ne nous empêche pas de trouver le temps long – et accessoirement de nous faire la remarque qu’il est plutôt rare désormais de découvrir une mise en scène sans recours à la vidéo (et oui, cela nous manque un peu ici), tandis que la mélopée monotone et le minimalisme timbrique de la partition (malgré l’usage de la puissance percussive) ne nous exaltent guère. Si l’on veut transmettre à nos jeunes la passion de l’opéra, et façonner le public de demain, il faudra faire mieux en ne se privant peut-être plus de la mélodie, de l’émotion et de la tonalité.