En programmant The Telephone, or l’Amour à trois, courte pièce charmante, un peu triste mais à la fin heureuse, le Festival de Perelada – qui, en raison de la construction en cours d’un nouvel auditorium dans le parc du château, avait adapté sa programmation à des lieux moins propices aux productions scéniques – offrait l’unique œuvre mise en scène de son édition d’été 2023.
Lucy et Ben forment un jeune couple amoureux. Peu de temps avant de partir en voyage, Ben tente de demander Lucy en mariage mais voit ses tentatives sans cesse perturbées par un téléphone que Lucy semble incapable d’ignorer. C’est finalement grâce à cet appareil qu’il parviendra à capter l’attention nécessaire de celle qui est désormais sa fiancée. Composée en 1947, l’œuvre se prête parfaitement à une interprétation contemporaine d’un sujet dont l’actualité est évidente. María Goiricelaya transpose l’action dans une salle de sport où le téléphone a fait place au smartphone. Le téléphone n’est alors plus seulement un moyen de « communiquer » (la communication se réduisant en l’occurrence à ignorer une demande insistante au profit d’histoires plus ou moins futiles échangées avec des personnes pourtant absentes), mais devient le support d’un rapport particulier à soi-même : selfies, conversations vidéo… Tout cela prend évidemment une tonalité particulière dans une salle de sport. Le culte de l’image de soi et de l’apparence double le retranchement sur soi opéré par le téléphone, creusant encore un peu plus le fossé relationnel paradoxalement créé par une « machine à communiquer ». La proposition, si elle n’est pas révolutionnaire, est pertinente et esthétiquement réussie.
Le jeune baryton Jan Antem est un Ben bien campé. La voix est bien placée, la projection sûre, l’intonation impeccable, les graves sont sonores et colorés. On veillera à suivre sa carrière. Ruth González, dans le rôle de Lucy, se distingue d’abord par ses indéniables qualités d’actrice. Ses « dialogues monologués » au téléphone sont expressifs et rendent justice aux talents de mélodiste de Menotti. La voix est un peu claire mais bien projetée. Les aigus sont brillants et bien placés mais desservis par une sonorisation rendue indispensable par l’absence totale de réverbération naturelle d’une salle sans doute un peu grande pour un opéra de chambre.
Sous la direction de Iván Martín, le Galdós Ensemble – en tenue de sport pour l’occasion – exprime habilement les reliefs d’une partition essentiellement centrée sur le chant et le texte. Malgré l’effectif réduit (un instrument par pupitre, conformément à la partition), la sonorisation permet de trouver une bonne balance entre orchestre de solistes.
Œuvre rare, jeunes solistes, mais aussi cocktail et after party… on se réjouit de l’occasion saisie par le Festival pour faire vivre l’opéra un peu autrement. Il n’est pas toujours nécessaire de se cantonner aux grands noms – qui, du reste, abondaient dans la programmation générale – et aux œuvres d’envergure pour susciter enthousiasme et émotion.