Bien que sous-titrée, en italien, « à quatre voix », la Messa di gloria requiert cinq solistes. Nouvelle galéjade de Gioachino Rossini, toujours prompt à la facétie ? Une question de choix de version, plus probablement. Dix numéros forment une partition créée en 1820 à Naples. La redécouverte du manuscrit dans les années 1970 a porté à trois le nombre de chefs-d’œuvre sacrés composés par Rossini*. Messe drapée dans l’or, le stuc et les rideaux pourpres du théâtre, prétexte à exhibition vocale au point de susciter aujourd’hui une certaine défiance. Et Dieu dans l’histoire ? Il faut se plonger dans la contemplation des toiles de Luca Giordano, exposées actuellement au Petit Palais, pour comprendre la manière ostentatoire qu’avaient les Napolitains d’appréhender la religion. Deux sections – Kyrie et Gloria –, divisées respectivement en trois et sept séquences, sont autant d’occasions pour les chanteurs et instrumentistes confondus de se frotter à une écriture périlleuse. Car nul n’est épargné dans cette course à la virtuosité. Flûte, cor anglais, basson clarinette sont eux aussi à rude épreuve. Rappelons que Naples, à l’époque attirait les meilleurs musiciens de la Péninsule.
Tel est le défi relevé par la Seine Musicale dans ce qui s’avère la première exécution, en région parisienne, sinon en France, d’une œuvre que Philippe Gosset, un des grands évangélistes rossiniens, considérait à raison comme « de la plus haute importance ».
Cette perspective légitimerait l’usage d’instrument d’époque si, dans la pratique, les sonorités jansénistes d’Insula Orchestra ne paraissaient en décalage avec la pompe napolitaine. La lecture solennelle de Speranza Scapucci, son geste large et lent, ne sont peut-être pas les mieux adaptés à une formation dont la sévérité voudrait plus de vivacité pour se montrer sous son meilleur jour.
Le Saint-Esprit rossinien souffle pourtant à travers un chœur Accentus en extase, et cinq solistes baignés dans ce répertoire dès leur plus jeune âge. Ainsi Eve-Maud Hubeaux qui en 2013 à Amsterdam décrochait le deuxième prix du Belvedere avec « Cruda sorte », l’air de L’Italienne à Alger. La mezzo-soprano depuis marche sur d’autres chemins. Il y a quelques jours, elle remplaçait en cours de représentation Anita Rachvelishvili dans Don Carlo à la Bastille. L’étoffe moirée de la voix ajoutée à la souplesse de la ligne font toujours sensation dans le peu de phrases concédées par Rossini à sa tessiture. Ainsi Jessica Pratt, belcantiste patentée, dont la messa di voce illumine le « Domine Deus », en dépit d’un métal que l’on peut trouver trop acéré. Le « Laudamus » voudrait boire davantage au calice de la volupté. Ainsi Levy Sekgapane, autre lauréat du Belvedere (en 2015), authentique contraltino par la souplesse, la hauteur d’émission et l’apparente facilité avec laquelle jaillit l’aigu, pris cependant au piège de l’impossible « Qui tollis », la ligne agitée d’un tremblement et la vocalise incertaine. Ainsi, Jack Swanson, l’autre ténor qui, en un « Gratias » aux contours élégamment dessinés et aux contre-ut radieux, confirme les espoirs soulevés par son Rodrigo dans Otello en début de saison à Francfort. Ainsi, Mirco Palazzi, basse originaire de Rimini à 40 kilomètres de Pesaro où depuis une dizaine d’années il a son rond de serviette. Cet Assur aujourd’hui de référence, ce Maometto exemplaire ne recule ni devant les graves abyssaux, ni les sauts de registre inhumains du « Quoniam ». Une à une, toutes les cases sont cochées. La matière fuligineuse du timbre : oui. La recherche de couleurs et de nuances : oui. Le déferlement en rafale des notes, les roulades, les grupppetti : oui. La cadence a capella où la voix nue proclame l’existence d’un seul Dieu comme si elle cherchait à s’en convaincre elle-même : oui. L’expression, une intériorité qui est recueillement, l’impression de transcender la technique pour toucher à la vérité : aussi.
* Stabat Mater et Petite Messe solennelle