C’est à Vienne que le Metropolitan Opera nous a conviés ce samedi 6 février pour le nouvel opus de son programme Met Stars Live In Concert qui s’est déroulé dans le manège d’hiver de la fameuse Ecole espagnole d’équitation (Spanische Hofreitschule), construite au début du dix-huitième siècle à la demande de l’empereur Charles VI par l’architecte Johann Bernhard Fischer von Erlach à qui l’on doit également le Château de Schönbrunn.
Il s’agit d’une vaste salle rectangulaire ornée de colonnades. Au centre, on avait installé pour l’occasion un gigantesque piédestal en forme d’arche sur lequel se sont produits les artistes. Avec Anna Netrebko, ce cycle de récitals n’aura jamais si bien porté son nom. La soprano est apparue telle une reine, dans une tenue d’une rare élégance, une somptueuse robe noire dont le bas constellé de brillants, était échancré sur le côté à partir de la taille, pour laisser apparaître un drapé blanc aux motifs argentés. Conçue pour la circonstance, cette robe illustrait le titre du récital, « Night and Day ». En effet, le programme, remarquablement construit, se déclinait en deux parties. La première évoquait le jour à travers un bouquet de mélodies centrées sur le thème de l’éveil de la nature au printemps. Durant cette partie, la salle baignait dans une lumière d’un blanc vaporeux. La seconde invoquait la nuit, ses rêves et ses tourments, sur un fond de lueurs bleutées du plus bel effet.
Ce programme exigeant et ambitieux s’articulait autour de mélodies de Rachmaninov, Rimski-Korsakov et Tchaïkovski dont certaines figurent dans le récital « In the still of the night » que DGG a publié voici une dizaine d’années, auxquelles s’ajoutaient des pages signées Richard Strauss, Debussy, Dvořák et même Leoncavallo. C’est donc dans cinq langues au total que s’exprimait la cantatrice au cours de la soirée sans jamais regarder une partition. L’opéra n’était pas tout à fait absent puisque ce programme comportait également l’air de Louise « Depuis le jour » dans lequel Netrebko nous a régalés de ces superbes aigus flottants dont elle a le secret ainsi que deux duos, celui de La Dame de pique entre Lisa et Pauline et la barcarolle des Contes d’Hoffmann avec la contribution de l’excellente mezzo-soprano Elena Maximova.
Le récital s’ouvrait avec « Les Lilas » de Rachmaninov (Op. 21 n°5), qui évoque la fraîcheur parfumée du matin, la soprano en donne une interprétation tout en nuances et délicatesse. Suivent deux mélodies sur le même thème, dont « c’est beau ici » (Op. 21 n°7), un hymne à la nature qui s’achève sur un si aigu lumineux de toute beauté. Puis vient « Morgen ! » de Strauss qui met en valeur le timbre capiteux de la chanteuse et son impeccable legato. Debussy introduit une note de mélancolie dans ce parcours, enfin les deux mélodies de Tchaïkovski, plus lyriques, nous replongent dans la contemplation sereine de la nature, tout en permettant à la cantatrice de montrer l’étendue de sa palette vocale, notamment dans « Dis-moi à l’ombre des branchages » (Op.57 n°1). Cette partie s’achève sur la « Mattinata » de Leoncavallo chantée à pleine voix avec un bonheur évident par la cantatrice qui esquisse pour l’occasion un pas de danse du meilleur effet.
Durant la pause, Peter Gelb, l’administrateur du Met, interrogé par Christine Goerke qui présentait la soirée, a commenté la carrière d’Anna Netrebko sur la première scène new-yorkaise à travers une quinzaine d’extraits des opéras qui ont été diffusés avec elle dans les cinémas, depuis Les Puritains en 2007 jusqu’à son Adriana Lecouvreur de janvier 2019. Il a également annoncé qu’elle chanterait Turandot à la fin de la saison prochaine et évoqué une possible Elsa.
La seconde partie s’ouvrait avec le duo de La Dame de pique, suivi par une succession de mélodies teintées de mélancolie, « Le Cortège aérien des nuages » de Rimski-Korsakov, (Op.42 n°3) voire de drame, « Nuit de folie » de Tchaïkovski (Op. 60 n°6) dont Anna Netrebko excellait à traduire tous les affects, de la nostalgie rêveuse aux cris de désespoir, avec un talent évident de diseuse. Les deux Lieder de Strauss « Die Nacht » et « Ständchen » mettaient en évidence les affinités de sa voix avec cette musique. Après une émouvante chanson tzigane de Dvořák (Op.55 n°2), le programme s’achevait sur une note d’optimisme avec la barcarolle des Contes d’Hoffmann et « Le jour rayonne » de Tchaïkovski (Op.47 n°6), mélodie dans laquelle la voix s’épanouit, glorieuse, dans une sorte d’exaltation jubilatoire tandis que la partie pianistique mettait en valeur la virtuosité de son partenaire.
Tout au long de la soirée, Pavel Nebolsin a proposé un accompagnement irréprochable, équilibré et précis.
A la fin, à l’émotion suscitée par ce splendide concert, vient s’ajouter un pincement au cœur en voyant les trois interprètes saluer un public invisible dans un silence glacial.
Ce concert est disponible jusqu’au 19 février sur le site :
Met Stars Live in Concert (brightcove-services.com)