C’est à la Stadthalle de Wuppertal, en Rhénanie du nord, qu’a eu lieu ce 23 janvier le nouveau concert proposé par le Metropolitan Opera dans le cadre de son programme Met Stars Live in Concert. Au centre de la salle entièrement vide, une estrade a été installée pour le pianiste et les chanteurs. Le seul décor est constitué par de grands chandeliers disposés tout autour, qui créent une atmosphère intime et feutrée. La soirée est commentée avec enthousiasme depuis New-York par Christine Goerke. Comment être insensible en effet face aux splendeurs vocales distillées par deux artistes au sommet de leurs moyens et si, au détour d’un air, l’interprétation dramatique marque un peu le pas, la faute en incombe à n’en point douter aux conditions particulières de ce concert sans spectateurs.
Le programme qui met à l’honneur l’opéra italien de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle à travers Verdi et quelques compositeurs véristes, s’achève avec trois extraits de Rusalka. La seule rareté nous est offerte par le ténor avec un air tiré de Halka, premier opéra de Moniusko, compositeur polonais contemporain de Verdi, connu surtout en occident pour son Manoir hanté.
Piotr Beczala qui a chanté l’ouvrage à Vienne en décembre 2019 donne de cette page une interprétation splendide d’autant plus sentie qu’il s’exprime dans sa langue maternelle. En début de soirée déjà il livrait un somptueux « Quando le sere al placido » magnifié par l’élégance de sa ligne de chant nuancée et la rondeur de son aigu. Puis, aux côtés de Sondra Radvanovsky ce fut le duo du Bal masqué, un ouvrage qu’ils avaient déjà chanté ensemble au Met. La complicité entre les deux artistes fait merveille – lui passionné, elle tout en subtiles demi-teintes – et contribue à faire de cette page l’un des grands moments de la soirée. Quelle frustration lorsque la musique s’achève dans un silence glacial alors qu’après leur performance électrisante, l’on aurait attendu une large ovation pour les artistes de la part du public s’il y en avait eu un. Puis, avant de chanter avec de beaux accents mélancoliques dans la voix, « Come un bel dì di maggio » le ténor polonais s’adresse aux caméras pour exprimer son espoir de voir un jour prochain la fin de cette pandémie. On pardonnera volontiers à Piotr Beczala un « Mamma quel vino è generoso » privé de l’urgence et du désespoir de celui qui sait qu’il va mourir, d’autant plus qu’il n’a jamais abordé le rôle entier de Turridu au théâtre, en revanche on louera sa superbe incarnation du Prince de Rusalka tant dans son grand air que dans le duo final de l’ouvrage qui conclut le concert.
C’est à Sondra Radvanovsky qu’échoit l’honneur d’ouvrir la soirée avec une grande scène dramatique, « Pace, mio Dio » extraite de La Force du destin, dont elle propose une interprétation quasi anthologique : l’ampleur de la voix, la plénitude des aigus et cette technique souveraine qui lui permet d’émettre d’admirables sons filés et même d’esquisser une messa di voce sur « Invan la pace » ont placé très haut la barre dès le début du concert, sans le moindre relâchement jusqu’à la fin. Très impliquée, on l’a dit, dans le duo du Bal masqué, la soprano livre ensuite une émouvante « Mamma morta » de Giordano que son passé de belcantiste lui permet d’orner de subtiles nuances tout comme l’air d’entrée d’Adriana Lecouvreur, un autre sommet de cette soirée : il faut l’entendre émettre sur le souffle ses « un soffio è la mia voce » avant de se lancer dans un crescendo sur les mots « che al nuovo dì » suivi d’un diminuendo jusqu’aux limites de l’audible sur « morrà ». Du très grand art. Une prise de rôle s’impose très vite. Entretemps nous aurons eu droit à une mort de Manon Lescaut plus vocale que dramatique. Puis, tout comme son partenaire, face aux caméras, elle a, avec des larmes dans la voix, fondé à son tour l’espoir que les artistes et le public, soient à nouveau réunis car, a-t-elle ajouté, « dans cette obscurité qui nous entoure, la musique est une lumière ». Sans transition, elle enchaîne ensuite un somptueux chant à la lune extrait de Rusalka qu’elle dédie à son père, tchèque d’origine, et le duo final de cet opéra en compagnie de Beczala.
Au piano Vincenzo Scalera propose un accompagnement élégant et précis qui parvient presque à faire oublier l’absence de l’orchestre, ce qui n’est pas un mince compliment.
(101) Sondra Radvanovsky and Piotr Beczała: Concert Highlights – YouTube
Lien pour le visionnage (payant) de ce concert jusqu’au 5 février :