Après Vienne, c’est en Allemagne du sud-ouest et plus précisément dans la bibliothèque rococo de l’Abbaye de Schussenried, que le Metropolitan Opera nous a proposé ce samedi 27 février, son avant-dernier récital de la série Met Stars Live in Concert. Fondée en 1183, l’abbaye qui avait été presque entièrement détruite pendant la guerre de 30 ans, fut reconstruite en 1752 dans le style baroque. Sa bibliothèque est une vaste salle richement décorée dont la fresque spectaculaire qui orne le plafond, peinte par Franz Georg Hermann, a fait la renommée. Un cadre somptueux pour Sonya Yoncheva qui est apparue vêtue d’une élégante robe rouge enveloppée d’une cape en mousseline vaporeuse de la même couleur.
Sonya Yoncheva © Metopera
Cette soirée est présentée comme les précédentes avec entrain et humour depuis New-York par Christine Goerke. Le programme concocté par la soprano bulgare entremêle sans aucune logique apparente, des airs d’opéras s’échelonnant du dix-septième au vingtième siècle et s’achève par une chanson d’Edith Piaf.
Ainsi Puccini voisine avec Dvořák, voire Purcell, « Un bel dì » succède à « Lascia ch’io pianga » comme s’il s’agissait de deux mélodies appartenant au même cycle. Sans doute Sonya Yoncheva a-t-elle voulu montrer sa versatilité et son aisance à passer d’un style de musique à un autre. Cependant a-t-elle les moyens d’assumer un programme aussi ambitieux ? Et surtout, était-il raisonnable d’ouvrir la soirée avec un air aussi exigeant que « Ritorna vincitor » ? D’Aïda la soprano ne possède ni la largeur du medium, ni l’insolence du registre aigu. Certes les notes sont là, mais ce qui nous est donné à entendre fait penser à une Mimi égarée sur les bords du Nil. Changement d’atmosphère avec Le Trouvère. Tandis que la salle se pare d’une lumière bleutée, durant les premières notes de « Tacea la notte placida », les moyens de la cantatrice semblent moins exposés mais, dotée d’une dynamique restreinte, sa voix ne parvient pas à créer les clairs-obscurs que l’on attend dans cet air ni à varier suffisamment les couleurs. Fort heureusement avec « Donde lieta uscì », elle se retrouve en terrain connu et réitère le miracle de sa Bohème de 2018 sur la scène du Met. Enfin, le timbre clair de la soprano fait merveille dans le Chant à la lune de Rusalka, sans parvenir cependant à éviter une certaine monotonie.
Sonya Yoncheva © Metopera
Une première pause nous permet de voir l’ « Ave Maria » de Desdémone capté au Met en 2015. Après quoi, l’air des Villi, pour lequel la cantatrice apparaît dans un éclairage rosé, un bouquet de fleurs à la main qu’elle répand autour du piano, montre à quel point elle est chez elle dans Puccini. L’émotion est à son comble dans un lamento de Didon déchirant qui met en valeur son registre grave, sans doute le sommet de la soirée, suivi d’un « Lascia ch’io pianga » d’une infinie mélancolie dont elle varie avec goût la reprise. Deux airs qui rappellent qu’au début de sa carrière, Sonya Yoncheva s’était brillamment illustrée dans le répertoire baroque. Cette partie du concert s’achève avec l’incontournable « Un bel dì vedremo » qui précède une nouvelle pause : cette fois, c’est la fin de l’acte deux de sa Tosca de 2018 qui nous est offerte.
La dernière partie du programme est dédiée à la musique française que Sonya Yoncheva aborde avec une prononciation tout à fait intelligible. Des deux pages de Massenet qui nous sont proposées, la petite table de Manon qui lui arrache des accents poignants, capte durablement l’attention. En revanche, davantage de sensualité aurait été bienvenue dans l’air de Thaïs privé de son contre-ré final optionnel. Enfin la soprano se montre mutine à souhait dans la habanera de Carmen avant de déplorer lors d’une brève intervention, la situation actuelle et l’absence de contact avec le public qui en découle, ce public à qui elle dédie pour conclure le célèbre « Hymne à l’amour » d’Edith Piaf avec une voix chargée d’émotion.
Au piano, Julien Quentin qui remplaçait Malcom Martineau initialement prévu, ne parvient pas toujours, en dépit de louable efforts, à s’adapter aux différents styles des musiciens abordés par la cantatrice. Son Dvořák, par exemple, manque par trop de poésie, en revanche il s’est montré tout à fait inventif dans les variations de son accompagnement de l’air de Rinaldo.
Ce concert est disponible jusqu’au 12 mars 2021 sur cette page :
Met Stars Live in Concert (brightcove-services.com)