En écrivant dans nos colonnes tout le bien qu’il pensait du Drama Queens de Joyce DiDonato, Bernard Schreuders ne pouvait s’empêcher de trouver le titre du disque quelque peu injustifié au regard du tempérament de son interprète, artiste stylée et élégante, peu versée dans les maniérismes ébouriffés d’un baroque fantasque. De passage à Paris le 8 février dernier, au sein d’une tournée qui la verra encore arpenter l’Espagne et le sud de la France (Toulouse le 4 mars), la mezzo américaine confirme a priori cette impression de relative sagesse : il faut chercher loin pour trouver la moindre trace d’exubérance dans les trois premiers airs du programme.
La rigueur cependant n’étouffe pas l’expression d’une virtuosité savamment dosée : « Intorno all’idol mio », extrait de l’Orontea d’Antonio Cesti, accuse parfois un grave un peu dur, mais révèle, dans ses toutes dernières phrases, un souffle d’une étonnante longueur. Et si l’imposant « Disprezzata regina » n’égale pas tout à fait les miracles d’émotion contenue que peut y mettre Anna Bonitatibus, l’air suivant, enchaîné car jumeau, jusque dans son titre (« Sposa, son disprezzata »), s’abandonne à une mélancolie outragée mais altière, profonde mais maîtrisée. Un sommet, déjà, dont le spectateur n’est pas encore remis quand elle enchaîne sur une superlative Berenice (Giuseppe Maria Orlandini), non sans avoir laissé Dmitri Sinkovsky, remplaçant avantageux d’Alan Curtis, galvaniser les musiciens d’Il Complesso Barocco dans un superbe concerto de Vivaldi.
Après l’entracte se succèdent deux Cléopâtre, séparées d’un an à peine. Celle de Hasse (1725), créée par un tout jeune Farinelli, vitupère quand celle de Haendel (1724) se lamente. Mais dans chacun de ces deux airs, c’est bien une reine qui se dessine, fière et déterminée. C’est surtout, mais qui l’ignorait encore, une musicienne faite pour ce répertoire que l’on entend, une voix ductile et nerveuse, une véhémence naturelle qui permettent, le temps d’un seul air, de donner aux personnages consistance et relief. L’Iphigénie de Porta et l’Alessandro de Haendel, faisant alterner, à l’image du récital, le legato (celui d’une douleur pure, cette fois, de toute colère ou de toute aigreur) et la virtuosité (celle d’une joie également sans ombrage, culminant dans des aigus de soprano) devaient constituer, croyait-on, l’épilogue de ce concert. C’était sans compter la légendaire générosité de Joyce DiDonato et les ovations amoureuses du public parisien à qui cinq bis sont offerts, présentés avec un humour irrésistible et une bonne humeur contagieuse… Une Drama Queen, vraiment ? Si l’on cherche sous ce vocable les traits d’une diva se complaisant sous les ors d’un baroque de carnaval au lieu de laisser la primauté à la musique, DiDonato, qui préfère écouter sur scène les prouesses d’Il Complesso Barocco plutôt que de se réfugier dans les coulisses pour mieux réapparaître sous les applaudissements, et qui vit son chant avec naturel bien plus qu’elle ne cherche à l’illustrer ou à le souligner théâtralement, en est loin… au-dessus !