Les Musicales de Redon fêtent cette année leurs dix ans. Une équipe entièrement bénévole de plus de cent trente membres accomplit le tour de force de réunir plus de dix mille mélomanes en quarante quatre concerts sur douze jours dans cette petite cité bretonne hors des centres touristiques. S’appuyant sur un financement équilibré par tiers entre billetterie, mécénat et collectivité, Henry de Sonis, le président, a remporté le pari risqué de « faire entendre ici, la musique que l’on aime et qui n’y était que trop rarement représentée ».
Pour sa soirée de clôture, le festival accueille le dernier opus de la tétralogie du chœur Mikrokosmos lancée en 2013 avec La Nuit Dévoilée qui s’enorgueillit de plus de cent représentations de par le monde. Le jour m’étonne tourne depuis 2019 et peut être applaudi cet été dans le Grand Ouest.
Tout comme celui des Musicales, le projet du chef Loïc Pierre ne manque pas d’audace avec ce chœur basé à Vierzon, missionné par le ministère de la Culture pour former de jeunes artistes à l’art choral a capella et au concept artistique inchangé depuis plus de trente ans : « défendre le répertoire a cappella d’aujourd’hui avec la complicité de compositeurs venus du monde entier ». Comme il le dit lui-même citant » les beaux mots de Jean Luc Godard « nous sommes à la marge, mais c’est bien la marge qui tient la page » ». Plus encore, entre théâtralisation et spatialisation du son, il entend permettre « l’émergence d’un théâtre choral. ».
Effectivement, inspiré par les magnifiques costumes de Perrine Laenert, le spectateur plonge avec délectation dans une musique résolument contemporaine – en partie issue de commandes – qui le transporte dans l’univers hypnotique d’une société mi-tribale mi-villageoise où s’ébauchent enjeux de pouvoirs et complicités, temps de l’amour ou du deuil. Le parcours sonore, qui joue de l’ambiguïté entre musique savante et populaire, est remarquablement construit, évitant la monotonie, s’appuyant sur les contrastes. La chorégraphie du chœur traduit visuellement le même souci : elle mélange ou rassemble les pupitres, alterne ses interventions depuis la salle ou la scène, autour ou derrière le public. Ainsi l’oreille est sans cesse surprise, réjouie d’un timbre qui se détache, d’un frottement qui titille, d’un bourdon qui magnétise.
Les vingt-six jeunes chanteurs, à la présence intense, bénéficient d’une émission au beau naturel pour une technique au croisement des chants lyriques et populaires, enrichie d’incursions dans le chant diphtongue (« Villarosa Sarialdi II » de Thomas Jennefelt) ou encore dans des traditions méconnues – scandinaves, estoniennes ou baltes. Métallophones et appeaux rythment les cinq temps du concert avec une indéniable magie – tout en assurant plus prosaïquement la justesse des départs.
« Katisma » du finlandais Einojuhani Rautavaara flirte avec le chant grégorien tandis que le cycle des moissons de l’estonien Veljo Tormis régale de nuances diaprées aux harmonies raffinées tout comme les deux pièces norvégiennes « Flyteljod » de Marius Løken et « Jondalen » de Ragnar Vigdal qui jubilent d’une vie qui danse de mille couleurs.
C’est un joli tour de force que de basculer de ce tropisme nordique vers une belle partition en latin comme le « Stabat Mater » de l’espagnol Manuel Ruiz del Corral avant une spectaculaire dernière partie toute en dissonances raffinées.
« Jeter son corps dans la bataille avec les armes de la poésie », voilà l’inspirante citation de Pier Paolo Pasolini mise en exergue sur le site internet de l’ensemble qui en résume bien l’esprit de liberté au sortir de cette soirée.