Les interprétations du Stabat Mater de Vivaldi et de Pergolesi, et Dieu sait combien elles sont nombreuses, réunissent pour la grande majorité d’entre elles, un couple mixte soprano/contreténor. Moins souvent, ces deux œuvres sacrées sont interprétées par un binôme homosexué ténor/contreténor ou soprano/mezzo. Mais beaucoup plus rares encore sont les interprétations, qui respectent les compositeurs à la lettre en associant une soprano et un contralto.
Sara Mingardo est passée maître dans ce répertoire, en enregistrant à plusieurs reprises le Stabat Mater de Vivaldi (2002, 2007 et 2009 Naïve) ainsi que celui de Pergolesi en duo avec Gemma Bertagnolli (2007 Naïve) ou Rachel Harnisch (2009 Archiv). C’est, cette fois-ci dans une nouvelle association avec la soprano Veronica Cangemi que nous retrouvons, au Théâtre des Champs Elysées, ces deux tubes du répertoire doloriste.
Le programme ne recherche pas l’excentricité : assez traditionnellement, le Salve Regina de Pergolesi pour soprano introduit le Stabat Mater de Vivaldi pour contralto suivi par le Stabat Mater de Pergolesi pour soprano et contralto.
Ainsi, Veronica Cangemi entre en scène la première. Son soprano, d’abord intimement maillé au tissu instrumental, perce, affleure puis enfle et émerge avant de se refondre à nouveau dans l’orchestre. Malheureusement, faute de puissance, ce délicat façonnage n’aura sans doute pas été entendu au delà du parterre. Travaillant admirablement sa palette de nuances, la chanteuse néglige quelque peu les notes du haut de la portée. Les aigus apparaissent serrés et les changements de registres trop secs.
C’est une fois préparé, introduit dans le recueillement de ce chant processionnel que peut commencer le Stabat Mater de Vivaldi, sobre et grave. La soirée monte d’un cran. Le timbre de Sara Mingardo sombre, dense, mat, s’accorde avec une infinie justesse à ce registre sacré. Sa technique irréprochable lui permet de varier, au fil de la partition, de l’exaltation contenue du « O quam tristis » jusqu’au messa di voce subtil du « Quis est homo », dans une interprétation pleine de ferveur et de piété, aux allures de récitatif, qui atteint son paroxysme dans le « Quis non posset contristari ».
Finalement, après l’intermède instrumental d’une sonate, nous voici, avec le Stabat Mater de Pergolesi, replongé dans un univers mélodique de piété saisissante auquel se mêle à présent une effervescence lyrique. Les deux interprètes frottent leur voix dans les jeux de dissonances harmoniques et d’entrées alternées du premier mouvement. La soprano s’appuie sur la rythmique et la découpe mélodique pour venir démentir par son chant enjoué les paroles morbides du « Quae morebat », avant d’être rappelée à l’ordre par sa partenaire qui entame dans le « Fac ut portem » une infernale descente jusqu’au ré, modulé d’un léger vibrato, que nulle contrainte physique ne semble venir entraver. Dans cette alternance de duo et d’aria, la voix de Veronica Cangemi, valorisée par celle de Sara Mingardo, retrouve puissance et vigueur.
En revanche, on regrette que les deux cantatrices aient été reléguées derrière l’orgue positif, depuis lequel Andrea Marcon impose d’une main ferme sa direction. L’inconvénient d’un tel dispositif c’est que chanteurs et musiciens sont de fait privés de communication directe entre eux. Aussi, le Venice Baroque Orchestra manque un peu de chaleur et de spontanéité.
Laëtitia Stagnara