« Qu’est-ce qu’il y a dans le cœur des femmes ? », font dire Meilhac et Halévy à l’un des personnages du Barbe Bleue d’Offenbach. Le même adage pourrait être repris pour l’œuvre de Dukas, tant il est difficile de comprendre les motivations des cinq première femmes de Barbe Bleue, restant soumises auprès du célèbre monstre de Perrault. Tout a été dit sur cet opéra déséquilibré, où Barbe Bleue ne chante que 36 notes et où Ariane partage avec l’orchestre l’essentiel de la représentation (voir l’analyse de Laëtitia Stagnara ). La mise en place scénique doit donc être très solidement conçue, de manière qu’elle rétablisse un semblant d’équilibre. Saluons au passage le courage de l’Opéra de Dijon de monter une œuvre si rare. Mais malheureusement, le résultat est assez loin des espérances. Tout d’abord, les décors (pans de murs et arbres décharnés déplacés à vue) et les costumes de Sabine Theunissen et Greta Goiris, qui évoluent sans cesse entre Frederic Leighton et Walt Disney (La Belle au bois dormant), et hésitent entre réalisme et onirisme, ne parviennent pas à créer un univers propice au déroulement de cette œuvre difficile. Plus encore, la mise en scène de Lilo Baur qui s’essaie à des « travelings cinématographiques » détourne ainsi l’attention des choses les plus essentielles.
Le personnage d’Ariane pose lui aussi bien des problèmes, de tessiture autant que de caractérisation. Jeanne-Michèle Charbonnet, une des grandes titulaires actuelles du rôle, annoncée souffrante, réussit néanmoins une belle performance vocale. Puissance, intelligence musicale, seule la langue française lui pose quelques problèmes. Certes, l’écriture du rôle impose une interprétation proche d’Ariane à Naxos, quelque peu en décalage avec les accents debussystes des cinq épouses séquestrées ; mais quand on habille somptueusement, sait-on pourquoi, Ariane en pseudo Castafiore, l’acte prend des allures de filles fleurs aux prises avec une mère maquerelle. Dans ces conditions, la soif de liberté et d’indépendance d’Ariane n’apparaît guère clairement.
Les autres rôles sont vaillamment défendus, mais guère plus crédibles. Delphine Haidan (la nourrice), également annoncée souffrante, peine à se faire entendre, et surtout à se faire comprendre. Damien Pass incarne un trop séduisant Barbe Bleue. Les cinq femmes enfermées forment un bel ensemble, dans lequel Carine Séchaye (Sélysette) montre tout particulièrement de belles qualités vocales et dramatiques. La baguette rigoureuse et précise de Daniel Kawka arrive à rendre les rutilances de l’orchestration de Dukas, mais la faiblesse en nombre des chœurs constitue un autre axe de déséquilibre de la représentation.