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MONTEVERDI, I Grotteschi – Bruxelles

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Spectacle
15 avril 2025
Un défi pour le bon sens

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Nouveau drame basé sur les madrigaux et les trois opéras de Monteverdi, l’Orfeo (1607), Il Ritorno d’Ulisse in Patria (1639-40) et L’Incoronazione di Poppea (1642-43) sur un scénario de Rafael Villalobos et un arrangement musical de Leonardo García Alarcón. Spectacle en deux parties, Miro et Godo, de deux actes chacune.

Créé à Bruxelles au Théâtre Royal de la Monnaie les 11 et 13 avril 2025

Détails

Scénario, mise en scène et costumes
Rafael R.Villalobos

Décors
Emanuele Sinisi

Eclairages
Felipe Ramos

 

Fortuna
Giulia Semenzano

Privilegio
Matthew Newlin

Virtú
Raffaella Lupinacci

Costanza
Stéphanie d’Oustrac

Coraggio
Jeremy Ovenden

Melancolia
Mark Milhofer

Carità
Arianna Venditelli

Giudizio
Anicio Zorzi Giustiniani

Impazienza
Jessica Niles

Capriccio
Federico Fiorio

Sapienza
Jérôme Varnier

Esperienza
Xavier Sabata

Basse (en coulisses)
Il Baskerville

 

Ensemble Cappella Mediterranea

Direction musicale
Leonardo García Alarcón

 

Bruxelles, Théâtre Royal de la Monnaie, les vendredi 11 avril 2025 à 19h00 et dimanche 13 avril 2025 à 15h

Quatrième tentative d’une série voulue par Peter de Caluwe, directeur sortant du Théâtre Royal de la Monnaie, et entamée en 2020, (les trois premiers essais concernaient respectivement Mozart, Donizetti et Verdi), ce spectacle ambitionne de fusionner en un seul les trois opéras de Claudio Monteverdi qui sont parvenus jusqu’à nous, en superposant un livret unique écrit par le metteur en scène sur les trois livrets existants et en alternant une très large sélection de morceaux, airs, ensembles ou récits, issus des trois œuvres, sans quasiment rien y changer. D’autres extraits issus des madrigaux et des transitions orchestrales de la plume du chef d’orchestre viennent compléter la partition.

Ce projet un peu prétentieux, De Caluwe l’a confié à un très jeune metteur en scène, dont le talent l’avait déjà séduit avec une Tosca montée en 2021. Mais le projet ici est d’une tout autre envergure !

Le livret concocté par Rafael Villalobos situe l’action dans une famille riche et puissante (mais on ne sait pas d’où elle tire ces avantages), italienne semble-t-il et enfermée dans un huis clos, dont on va suivre les turpitudes, les luttes internes et les amours principalement ancillaires dans un esprit directement inspiré de la pire des téléréalités. Chaque personnage porte le nom d’une vertu (d’où le titre de I Grotteschi, ces statues allégoriques chères à la Renaissance) définissant sa place dans la hiérarchie sociale ou familiale, même si dans les parties chantées, bien souvent c’est le nom du personnage de l’œuvre originale qui revient. On comprend donc bien vite que Melancolia est Orphée que Coraggio est Ulysse, Costanza Pénélope, que Sapienza est Sénèque, etc, etc. La conséquence de cela, c’est que des relations familiales complètement farfelues s’établissent sous nos yeux ébahis : Ulysse devient le fils d’Orphée, et Néron le fils d’Ulysse et Pénélope ! Bien sûr, si ces noms ne vous disent rien, ça n’a aucune importance ; mais si au contraire – et il doit quand même bien y avoir une grande partie du public pour qui c’est le cas – vous attachez à chacun de ces personnages de la mythologie ou de l’histoire romaine des images relativement précises, forgées au fil d’’une éducation classique un peu structurée, la confusion gagne rapidement, teintée d’une certaine irritation. Les coucheries de Néron et de son petit frère (Caligula, donc…) forment le cœur de l’intrigue, avec toutes sortes de péripéties collatérales, dont un Sénèque vaguement pédophile, une infirmière pourvoyeuse de cocaïne, un jardinier sans jardin et une gouvernante au grand cœur pour consoler tout le monde.

Tous ces personnages évoluent dans un dispositif scénique grandiose, fait d’un double plateau tournant, à deux éléments superposés, qui contient toutes les pièces de la maison. Si l’extérieur fait penser aux architectures de Le Corbusier, les décors intérieurs suintent le mauvais goût criard, à l’exception d’une très belle bibliothèque, dont le plafond en forme de zodiaque rappelle furieusement une ancienne et magnifique production de la Calisto de Cavalli, par Herbert Wernicke à la Monnaie en 1993. Performance technique suffisamment rare pour qu’elle soit mentionnée, ce dispositif énorme et certainement très couteux tourne rapidement et sans bruit.

 

Stéphanie d’Oustrac, Costanza

L’œuvre est divisée en deux parties distinctes, de deux actes chacune, ce qui mène à près de sept heures de spectacle entractes inclus, réparties sur deux jours. C’est beaucoup ! Elles portent les noms de Miro et Godo en référence au célèbre duo Pur ti miro, pur ti godo extrait du Couronnement de Poppée, duo qu’on retrouvera bien à la fin du spectacle, somptueusement interprété, mais au lieu qu’il s’agisse du dialogue de deux amants, c’est celui de deux rivales ! On ne peut s’empêcher de penser à la citation de Tennessee Williams : N’importe quoi pourrait être n’importe quoi d’autre, et tout cela aurait autant de sens.

Reste à se laisser porter par la musique, la somptueuse, la voluptueuse, l’enjôleuse musique de Monteverdi, fort bien servie ici par la Cappella Mediterranea sous la direction de Leonardo García Alarcón.

La distribution vocale est dominée par Stéphanie d’Oustrac, dans le rôle de Costanza, très largement repris de celui de Pénélope, épouse délaissée (Ulysse est très malade pendant la plus grande partie de la pièce), figure d’une maturité amère et lasse qu’elle rend avec beaucoup de subtilité. La voix est magnifique, chaude et tendre, et le style fort bien respecté.

Un peu moins pur stylistiquement, les deux frères Privilegio et Capriccio sont interprétés par Matthew Newlin, excellent et Federico Fiorio, moins chevronné, voix moins puissante aussi, et qui peine dans les vocalises. Les deux garçons paient généreusement de leur personne en se pliant aux caprices de la mise en scène. Leurs amantes, Fortuna et Impazienza sont incarnées par Giulia Semenzata, soprano vénitienne au timbre délicieux, voix très solide techniquement, passée par la Scuola Cantorum de Bâle, rompue au style italien du XVIIe siècle, et Jessica Niles, soprano américaine au style sans doute moins pur, mais non moins charmante, toutes deux également fort sollicitées par le metteur en scène et invitées à chanter dans les situations les moins confortables, ce dont elles se sortent très honorablement.

Grande réussite aussi pour la composition de Xavier Sabata dans le rôle travesti de Esperienza, la nourrice/gouvernante. Tour à tour réconfortante, hilarante et provocante, le personnage occupe une grande place dans l’intrigue, et le chanteur relève le défi avec panache, même si la voix se fatigue un peu au fil des deux représentations. Sa berceuse à la fin du premier acte de Godo fut un sommet d’émotion musicale.

Le patriarche de cette famille dysfonctionnelle, Melancolia, vieillard atteint de démence mais qu’on n’ose contrarier, est chanté par Mark Milhofer qui parvient à émouvoir par la candeur de son propos complètement décalé. Autre rôle très satisfaisant, Jérôme Varnier en Sapienza (alias Sénèque ou Caron), voix de basse du meilleur effet, au timbre riche et puissant. Il meurt à la fin du premier volet – c’est la science et la culture qu’on assassine – mais réapparaitra pour les ensembles du second, auxquels il faut bien une basse…

Coraggio, l’époux alité de Costanza, qui alterne les moments d’inconscient comas et les réveils brumeux, rôle finalement restreint, est tenu par Jeremy Ovenden. Virtù, l’épouse enceinte mais vite répudiée de Privilegio est tenue avec émotion et pas mal d’abattage par la mezzo Raffaella Lupinacci.  Le couple formé par le jardinier Giudizio et l’infirmière Carita (Anico Zorzi Giustiniani et Arianna Venditelli), lui un peu en retrait par rapport à elle, complète la distribution.

L’orchestre, placé dans une fosse au plancher rehaussé pour plus d’ampleur sonore – il est vrai que la fosse est une invention bien plus tardive – est assez complet et reprend l’effectif de l’Orféo, le plus fourni des trois opéras, soit 22 musiciens. Certains instruments ont été dédoublés et le continuo est extrêmement fourni, qu’on en juge plutôt : deux violes de gambe, un violoncelle, une contrebasse, basson, harpe, théorbe, archiluth, clavecin et orgue ! Ce chatoiement sonore en vient presque à couvrir les chanteurs, en particulier ceux qui s’expriment depuis le haut du dispositif scénique, et dont les voix ont finalement dû être amplifiées pour remplir le vaste plateau de la Monnaie.

Avec une vigueur infatigable, beaucoup d’imagination et un sens aigu des contrastes, les troupes de Leonardo García Alarcón moulinent les partitions sans faiblir, sous l’œil extrêmement attentif de leur chef. Les chanteurs sont un peu plus libres…

Certes le travail accompli est considérable, mais ça n’est pas pour autant que le résultat est entièrement satisfaisant. Et on est en droit de s’interroger sur le but poursuivi. En quoi un livret recomposé, une œuvre faite de coupures et de collages seraient plus intéressant, mieux disposé à assurer à l’œuvre un accès pour un public plus large ? Personnellement, je n’y vois que l’argument de la nouveauté, et il est bien mince. Ni le livret un peu racoleur, passablement incohérent, ni l’intrigue fort compliquée, ni le spectacle beaucoup trop long ne sont de nature à favoriser l’accès à Monteverdi, que du contraire.

Les œuvres sous cette forme recomposée peinent à trouver une cohérence musicale, la progression dramatique est chaotique, et si certains passages sont de grande beauté, l’ensemble du spectacle, auquel on aura consacré les meilleures heures de tout un weekend, demeure un défi pour le bon sens. Dans les deux volets, des passages entiers pourraient avantageusement être coupés, la faiblesse du livret et l’incohérence des personnages ne permettant pas de capter l’attention. En d’autres termes, l’œil et l’esprit s’ennuient beaucoup, malgré les mouvements incessants des protagonistes ; en dépit d’une incontestable réussite musicale, le défi n’est donc pas entièrement rempli.

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Créé à Bruxelles au Théâtre Royal de la Monnaie les 11 et 13 avril 2025

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Scénario, mise en scène et costumes
Rafael R.Villalobos

Décors
Emanuele Sinisi

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Leonardo García Alarcón

 

Bruxelles, Théâtre Royal de la Monnaie, les vendredi 11 avril 2025 à 19h00 et dimanche 13 avril 2025 à 15h

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