Elle voyage, elle voyage cette belle production du Retour d’Ulysse. Après Toulouse, la voici pour un soir au Palais des Beaux-arts de Bruxelles. Et reconstituer un opéra de Monteverdi dans l’atmosphère art-déco du grand vaisseau bruxellois n’est pas chose facile. Si la disposition des lieux permet un déploiement des troupes sensiblement plus large qu’à Toulouse, si j’en crois mon collègue Thierry Verger (MONTEVERDI, Il Ritorno d’Ulisse in Patria – Toulouse), l’absence de décor nécessite que les interprètes redoublent d’imagination communicative pour imposer leur propos. La magie opère pourtant bel et bien, et la mise en espace conçue par Mathilde Etienne se révèle parfaitement efficace : les mouvements suggérés, les attitudes et les mimiques de chacun suffisent à évoquer toutes les situations du récit, la magie narrative de Monteverdi fait le reste. Tous sont mis à contribution, les membres de l’orchestre se joignent aux chanteurs pour former le chœur, certains instrumentistes cumulent plusieurs instruments comme certains chanteurs cumulent plusieurs rôles, de sorte que c’est une véritable troupe, très cohérente, unie, qui se présente à nous. Le grand avantage de ces mises en espace peu invasives, c’est qu’elles laissent au spectateur le soin d’imaginer lui-même les éléments manquants, que le propos n’est jamais dévoyé et que toute l’énergie est concentrée sur la musique, dont la pureté n’a peut-être jamais été aussi sensible.
Les rôles les plus exposés, Ulysse (Emiliano Gonzales Tores) et Pénélope (Fleur Barron) sont vocalement très solides : lui avec une voix très bien placée qui permet beaucoup de nuances de couleur et une grande clarté du récit, elle avec un timbre bien sombre, presque envoûtant, une sorte de mélancolie naturelle dans la voix particulièrement bien utilisée dans ce rôle. Le fait qu’il assume également la direction musicale du spectacle – à laquelle contribue aussi grandement Violaine Cochard, infatigable continuiste qui passe avec aisance du clavecin à l’orgue, renforce encore la cohérence de la troupe au sein de laquelle on donnera également une mention spéciale au jeune berger Eumée (Nicholas Scott), à la candeur très émouvante.
La jeunesse des chanteurs, leur enthousiasme, mais aussi leur belle connaissance du style contribue à la fluidité du spectacle, (un petit bémol pourtant pour le Télémaque de Zachary Wilder, excellent chanteur, mais qui semble avoir deux fois l’âge de son père – ou est-ce l’Ulysse d’Emiliano Gonzales Toro dont le physique paraît trop jeune pour le rôle ? Toujours est-il que le rapport scénique entre eux deux est peu crédible). Les trois prétendants de Pénélope ( Anders Dahlin (Pisandre), Nicolas Broymaans (Antinoüs) et Juan Sancho (Amphinome)) sont très bien différenciés, caricaturaux à souhait dans le genre macho infatués, faisant ressortir le côté comique des scènes auxquelles ils participent. Tout cela vous a un petit côté Commedia dell’Arte avant la lettre, l’émotion filtre à travers les scènes comiques, l’énergie circule d’un climat à l’autre, contribuant à la délicieuse légèreté du spectacle tout en soutenant la narration. La nourrice Euryclée (Alix Le Saux) est parfaitement voluptueuse et les autres rôles ne déméritent pas, au sein d’une distribution très homogène, même si globalement, les humains sont plus convaincants que les Dieux.
La partie instrumentale d’une grande diversité de couleurs, très attentive à soutenir les chanteurs, est pleinement intégrée au spectacle, dont on ressort revigoré, à la fois ému et heureux. Vieille de presque 400 ans, la partition n’a pas pris une ride !