Après Bordeaux, Angers et La Corogne et avant le Bozar à Bruxelles puis Madrid pour terminer, l’ensemble I Gemelli a posé ses valises à Toulouse pour deux représentations mises en espace du Ritorno d’Ulisse in Patria. Un rythme de représentations serré qui ne restera pas sans conséquence pour Mathilde Etienne, victime la veille d’un accident de scène à l’Opéra de La Corogne, mais qui tient tout de même sa place à Toulouse au prix d’une mobilité plus que réduite puisque celle qui réalise la mise en espace et tient le rôle de Melanto doit être littéralement portée sur scène lors de chacune de ses apparitions ; défection par ailleurs de David Hansen, pour le – petit – rôle de la Fragilité Humaine. C’est Emiliano Gonzalez Toro, à la direction musicale et titulaire du rôle-titre, qui reprend au débotté cette partie.
Mise en espace donc, sur une avant-scène réduite (les décors imposants du Boris Godounov se jouant pendant cette même période, sont cachés derrière le rideau de scène). Les quinze instrumentistes de l’ensemble I Gemelli sont placés aux extrémités cour et jardin. Au milieu trône l’imposant clavecin posé sur l’orgue positif de Violaine Cochard, magnifique continuo, seule à tourner le dos au public. Reste un espace étroit mais suffisant pour qu’évoluent les 19 (!) personnages de la pièce, qui tantôt slaloment entre les instruments ou autour du clavecin, tantôt se posent sur l’estrade en fond de scène lorsqu’ils ne s’assoient pas à trois sur le siège de la continuiste ! Quelques accessoires seulement pour Ulysse : une cape et un bâton de vieillard et, au deuxième acte, le fameux arc qui révélera son identité.
© Mirco Magliocca
Emiliano Gonzalez Toro à la tête de son ensemble reprend à peu de choses près la distribution qui figure dans l’enregistrement réalisé entre 2021 et 2023, et sorti cet automne.
Il semble évident, à voir les protagonistes évoluer, se chercher et se trouver toujours, que le spectacle est bien rôdé. Les complicités se font jour, les ensembles tombent toujours juste, point n’est besoin d’une battue explicite pour être dans le bon tempo. Ajoutons à cela un parfait équilibre des voix et un accompagnement instrumental sans faille. A noter que certains instrumentistes sont également convoqués comme choristes lors des rares interventions collectives.
La distribution vue ce soir n’est pas exactement celle du CD, notamment pour ce qui est du rôle de Pénélope, tenue ici par Fleur Barron, toute de noir vêtue. Une occasion pour la mezzo singapouro-britannique (dont la tessiture flirte avec l’alto) de briller dans ce rôle qu’elle porte magnifiquement. C’est la belle surprise de la soirée. Le port est superbe, altier comme il se doit, et la présence vocale captivante. Le public est à juste titre sensible aux couleurs chaudes et pleines, du bas au sommet de la gamme. On se régale, on se noie dans ses lamentations du III, avant que ses yeux enfin se décillent.
Emiliano Gonzales Toro est un Ulysse aussi convaincant sur scène qu’au disque ; on devine, en plus d’une voix capable d’emprunter de multiples facettes (dont celles d’un vieillard) avec quelques nasalités qui rappellent dans les forte le ténor de Rolando Villazón, un acteur heureux de se mouvoir sur scène.
Il n’y a en fait pas de point faible dans cette distribution. Zachary Wilder figure un Télémaque prudent puis revigoré lorsqu’il reconnaît son père. Fluvio Bettino, formidable acteur qui fait de Iros un parasite que l’on adore détester. Juan Sancho n’a peut-être pas le physique de Jupiter mais la carrure vocale est là ; de même pour le Neptune de Christian Immler dont le monologue du I reste en mémoire. Le trio des prétendants, Anders Dahlin (Pisandre), Nicolas Broymaans (Antinoos) et Juan Sancho, le même qui tient aussi Jupiter (Amphinome) propose un manège bien huilé et une belle complicité. Il ne faudrait pas passer sous silence, l’Eurimée d’Alvaro Zambrano et le berger Eumée de Nicholas Scott tous deux à l’enthousiasme contagieux. Enfin quelques belles voix féminines qui n’avaient pas besoin de puissance pour faire passer toutes les émotions : outre Mathilde Etienne, n’oublions surtout pas Emöke Barath (Minerve et la Fortune) l’Euryclée touchante d’Alix Le Saux et Lisa Menu en Junon/l’Amour.