Il est des lieux exceptionnels qui épanouissent d’une dimension supplémentaire les œuvres qui y sont interprétées. C’est le cas de la sublime basilique Sainte Marie qui, pour la première fois, accueille – gratuitement – un programme musical dédié à l’occasion des vingt ans du festival Misteria Paschalia de Cracovie.
Vincent Dumestre rend d’ailleurs un hommage appuyé à Robert Piaskowski, directeur du centre National de la Culture et promoteur, à la fois de la restauration du retable et de l’organisation du concert dans la basilique, en le conviant sur scène au moment des applaudissements pour une accolade chaleureuse qui dit bien leur joie d’avoir pu mener à bien cet ambitieux projet.
Avec ce Monteverdi Testamento, Le chef d’orchestre propose des Vêpres imaginaires, telles que le compositeur aurait pu les concevoir à la fin de sa vie, en écho à la partition célèbre de 1610. L’idée est belle, l’exécution se révèle exceptionnelle.
Le chef français vient de prendre les rênes du festival – institution incontournable de la capitale culturelle polonaise -. Il y met en pratique un credo qui lui est cher : faire résonner patrimoines architecturaux et immatériels : La basilique Sainte Marie, au cœur de Cracovie, abrite le plus grand retable gothique d’Europe, sublime polyptyque sculpté de la fin du XVe siècle, haut de treize mètres, consacré à la vie de la Vierge et du à l’allemand Veit Voss.
Une mise en lumière progressive permet au spectateur d’en découvrir les différents panneaux dans un écho narratif aux partitions interprétées au cours de la soirée. Le pari du chef d’orchestre est pleinement gagné car les dimensions visuelles et auditives s’enrichissent l’une l’autre, concourant à une densité émotionnelle assez extraordinaire.
Lorsqu’une religieuse ouvre les panneaux du polyptyque révélant la scène centrale de la Dormition de la Vierge, l’émotion est indicible. Croyant ou non, nous sommes là au delà d’un moment de beauté pour toucher au Mystère.
Il faut dire que la soirée est portée par des interprètes en état de grâce et que le programme fait montre d’une grande intelligence, rassemblant des pages majeures du Monteverdi de la maturité. Il joue sans cesse des contrastes comme lorsque le poignant Stabat Virgo Maria cède la place au quasi carnavalesque Laetatus sum.
Le plateau vocal affiche une remarquable homogénéité avec des timbres qui s’harmonisent merveilleusement dès le Dixit Dominus où flux et reflux emportent immédiatement l’adhésion et jusqu’au somptueux Magnificat dans la plénitude d’un son au grain aussi complexe que généreux.
L’équilibre prévaut toujours avec ces voix assez droites mais bien projetées, enrichies d’une accroche rythmique ; très articulée. Les « dialogues » du Laudate Pueri ou du Laetatus sum sont extrêmement vivants, quasi opératiques.
Cyril Auvity nuance avec grâce de son ténor rond et chaud ; Romain Bockler bénéficie d’une émission naturelle et fluide ; tous deux font merveille en duo avec une agilité impressionnante dans le Magnificat.
Les vocalises sont également impeccables pour Perrine Devillers toute de délicatesse dans le Ego flos campi bien que certaines finales aient tendance à baisser dangereusement.
La basse bien ancrée de Nicolas Brooymans chante sans effort apparent tandis que Paco Garcia semble parfois à la limite de sa tessiture mais fait montre lui aussi d’une belle autorité.
Le timbre corsé d’Anouk Defontenay, enfin, bénéficie d’un traitement de faveur avec le somptueux Pianto della Madonna, écho sacré au Lamento d’Arianna, qu’elle interprète par cœur, évoluant librement sur scène pour mieux incarner le drame. Les changements d’intention sont pertinents, la conduite de la phrase sans faille, l’émotion bien présente.
En écho au chef d’oeuvre de Veit Voss, nous pourrions filer la métaphore et louer la sensualité dans la recherche de poli, d’embossage ; les alternances de mat et de brillant qui réjouissent l’oreille et portent haut le message de foi du compositeur comme dans le magnifique Nisi Dominus.
Les artisans de ce moment rare évoluent en parfaite osmose. Les chanteurs, donc, l’Ensemble Instrumental du Poème Harmonique également, tout en ciselures et en volutes polychromes, jouant du relief grâce à la variété de l’instrumentarium : les cuivres mis en valeur de manière récurrente dès le Deus in adiutorium, dans le Pianto della Madonna ainsi qu’avec les cordes à la fin du Lauda Jerusalem.
Le chœur fait montre d’une même maestria dans l’expressivité, les nuances et l’articulation. Les Stabat Virgo Maria et Lauda Jerusalem prennent des teintes quasi instrumentales où le fil du son oscille du plus fragile – presque détimbré – au plus puissant. Les basses y méritent un coup de chapeau tout particulier tant leur grain généreux apporte encore à la palette merveilleusement aquarellée de l’ensemble.
Certes, le texte perd quelque peu en intelligibilité dans des moments de grand recueillement, peut-être du fait de l’acoustique du lieu, mais cette fragilité acquiert finalement une tonalité poignante. En revanche, les moments les plus sonores, comme les différents « Amen » sont d’une telle densité sonore, d’un telle qualité vibratoire que l’on en est chaque fois bouleversé. Quel formidable équilibre entre les pupitres, quel plaisir dans les dissonances, les jeux de réponses…
Le travail de respiration, de vide et de plein est servi avec une exigence sans faille par le chef dont la direction s’avère ce soir particulièrement précise, carrée, presque cassante en apparence ; ce pour mieux dompter l’acoustique et obtenir ces silences nourris, ces attaques percussives et ces finales au cordeau, dorures indispensables pour parachever l’œuvre.
Dans un autre cadre, la magie sera, on l’espère, également au rendez-vous pour la reprise de ce programme le 28 avril dans la Chapelle Royale de Versailles et courant novembre à la Philharmonie de Paris.