Il y a des artistes dont la réputation précède la performance qui, sauf accident, ne peut être qu’excellente. On s’habitue à la pertinence des choix musicaux, à la finesse de l’exécution, à l’intelligence de la sélection des solistes. Et quand il y a de grandes attentes, il peut y avoir de grandes déceptions.
Aller écouter Leonardo García Alarcón, Mariana Florès et Cappella Mediterranea, c’est en principe s’offrir une soirée de haute voltige musicale où la sensibilité ne cède jamais à la virtuosité et où l’on est assuré de trouver un programme surprenant et plein de relief. C’est aussi la certitude de rencontrer une chanteuse et musicienne exceptionnelle, accompagnée par un ensemble de premier plan. L’enthousiasme est d’autant plus grand que l’on sait que le programme a pu être rodé, voire ciselé, puisqu’il a fait l’objet d’un bon enregistrement en 2012 et de plusieurs dizaines d’exécutions en concert.
La rencontre de Monteverdi et Piazzolla sonne comme une évidence quand on connaît le travail et les intérêts du chef argentin. Les affinités sont nombreuses et doivent beaucoup à un travail de présentation et d’arrangement très réussi. Affinités thématiques d’abord : les pièces sont présentées en six parties qui font écho à autant d’étapes d’une vie réelle ou fantasmée – ou peut-être d’un cheminement historique – : la nuit, un rêve (ou un mauvais présage), l’amour, l’abandon, la guerre, la mort. Affinités musicales ensuite : sur le plan harmonique et rythmique, les pièces s’enchainent sans que le gouffre temporel qui les sépare ne soit rendu audible. La fluidité est encore favorisée par un travail risqué mais réussi sur les timbres et les couleurs. Alarcón n’hésite en effet pas à remplacer une partie de clavecin chez Monteverdi par du piano et à introduire du clavecin (hélas trop sonorisé) ou de l’orgue chez Piazzolla. Jusque-là, tout semble idéal.
Pourtant, il suffit d’un mauvais choix pour faire passer les nombreuses qualités d’une prestation au second plan : on ne s’explique pas le recours à des micros pour les chanteurs. S’il semble bien que ce programme ait été conçu comme cela d’emblée, on attend de musiciens de la trempe de Leonardo García Alarcón et Mariana Florès qu’ils s’adaptent aux lieux de leurs performances. En l’occurrence, il s’agissait d’une petite église dotée d’une réverbération légère mais flatteuse. Une acoustique agréable et facile, en somme. Alors pourquoi utiliser une amplification quand on a les facilités vocales de Mariana Florès ? Certainement pas pour passer au-delà de l’orchestre (elle n’en a pas besoin). Peut-être pour des raisons stylistiques mais, le cas échéant, c’est un réel échec. Certes Mariana Florès reste une grande musicienne et elle utilise adéquatement le micro. On profite tout de même de son agilité, de son engagement, de son investissement musical. Mais on perd énormément en intimité et en émotion. Il faudra attendre le bis pour profiter d’un véritable moment de grâce, pour une unique pièce non amplifiée. Quelques tentatives sont faites pour s’approprier le lieu – chanter du fond de l’église, chanter en en faisant le tour – et elles auraient certainement pu offrir de très beaux moments. En réalité, elles sont restées vaines, voire un peu ridicules, car le son provenait toujours d’un même endroit : le hautparleur le plus proche.
Une autre explication, moins avouable que le choix artistique, est peut-être liée au déséquilibre évident entre la soprano et le ténor. Là où Mariana Florès jouit de possibilités vocales certaines, allant de la douceur extrême à l’incandescence, Diego Valentín Flores peine à convaincre. S’il n’a jamais lâché son micro, c’est peut-être aussi parce qu’il en avait besoin pour passer outre l’orchestre, pour atteindre le fond de l’église, pour exprimer certaines qualités vocales. On aurait aimé l’entendre vraiment pour se faire un avis plus nuancé mais, tout ce que l’on retiendra ne sera malheureusement que des vocalises mal menées dans le « Pur ti miro » (qui souffrent certes de la comparaison avec la souplesse et la douceur de la partie de Mariana Florès dans cette pièce), quelques moments où il devient inaudible à côté d’une soprano qui arrive à s’éloigner du micro pour occuper tout l’espace, une interprétation généralement identique de chaque air et une voix qui n’offre que très peu de relief. On aimerait évidemment se tromper, reste qu’on ne peut rendre compte que de ce qu’on a entendu.
Les musiciens de Cappella Mediterranea sont excellents. On soulignera en particulier la performance de William Sabatier au bandonéon et de Doron Sherwin au cornet à bouquin qui, avec les autres musiciens de l’ensemble, ont donné au programme les nuances qui manquaient du côté vocal.