Pour la cinquième édition du Festival Beethoven, qu’il a créé à Beaune, le violoncelliste Sud-Coréen Sung-Won Yang a réuni quelques-uns de nos meilleurs interprètes pour un beau programme, où, de Bach à Schubert, la musique de chambre est à l’honneur, sous le signe du partage. Le second concert, consacré à Mozart, fait la part belle à la voix, intime comme lyrique. Deux artistes d’exception, d’origine extrême-orientale, vont s’y rencontrer pour conjuguer leurs talents. La soprano coréenne SunHae Im s’est fait connaître dans nombre d’œuvres baroques et classiques qu’elle a illustrées sous la direction de René Jacobs, Fabio Biondi et de tant d’autres, sans négliger le répertoire du XXe siècle (Erwin Schulhoff, tout particulièrement). De Bach à la création contemporaine, de l’Orient à l’Occident, avec une prédilection pour Mozart et Messiaen (1), disciple d’Yvonne Loriod, la pianiste franco-japonaise Momo Kodama n’a plus à faire ses preuves. En outre, elle a formé avec sa sœur Mary un des duos de pianistes les plus renommés.
Leur réunion, initiée par le Festival, est une première. Le programme, élaboré avec soin, nous permet d’écouter des lieder trop rares dans nos salles de concert. Sollicitant peu la technique, leur apparente simplicité interdit de dissimuler les limites de l’intelligence musicale des interprètes, à la différence de pièces brillantes, virtuoses. Loin des lectures appliquées, scolaires, seuls d’authentiques musiciens ont capacité à leur rendre vie. Six lieder – dont l’ariette française qui ouvre l’intervention de notre soprano –, trois airs d’opéras et un air de concert en seconde partie, une sonate pour piano ouvrant chacune d’elles, voilà un équilibre et une progression admirables.
Commençons par les sonates. Bien que dans toutes les oreilles (peut-être les doigts de certains) nous découvrons une dimension insoupçonnée à l’ultime (de juillet 1789), en ré. La fantaisie des épisodes, où la fausse naïveté (« facile ») alterne avec l’invention harmonique et contrapuntique, renouvelle l’écoute en nous entraînant au cœur de la création mozartienne des dernières années. La profonde intelligence du texte, servie par une riche palette sonore et un toucher exemplaire, se confirmera avec celle en si bémol, de dix ans antérieure. Nous en retiendrons surtout l’andante cantabile et le finale en forme de rondo, qui nous réserve bien des surprises, dans un climat changeant, du pathétique à la désinvolture et au feu d’artifice. Avec Momo Kodama, nous tenons une exceptionnelle mozartienne, qui nous fait oublier nos précédentes références.
Elle mettra ses éminentes qualités au service de l’accompagnement des pièces chantées, avec une complicité d’autant plus remarquable que les artistes n’avaient jamais eu l’occasion de jouer ensemble. Malgré certains textes très datés, aucune affectation ni minauderie, pas davantage que de dramatisation expressive : chacune sert le propos avec naturel, simplicité, fraîcheur et sincérité.
Les poèmes sont illustrés avec un sens rare de la narration (2). SunHae Im, outre ses qualités de chant, est une délicieuse conteuse, qui cisèle chaque mot, sculpte chaque phrase, tout en conduisant la ligne vocale avec art. Que ne chante-t-on plus souvent les deux ariettes françaises que Mozart écrivit en 1778 ? « Dans un bois solitaire et sombre », que nous écoutons ce soir, est un petit drame annonciateur de « Das Veilchen », avec son caractère juvénile, son ardeur, et son épisode pathétique. « An Chloe », adolescent lui aussi, chaleureux, « Der Zauberer », fiévreux, troublé, renouvelé à chaque couplet, apparaissent comme de sympathiques épisodes par rapport aux deux derniers lieder de la soirée. « Als Luise die Briefe » où le feu ne brûle pas seulement les lettres d’amour (3), « Abendempfindung », ému, crépusculaire, schubertien avant l’heure, avec sa partie récitative, sont d’authentiques chefs-d’œuvre.
Les textes, magnifiés, permettent à SunHae Im d’en traduire la moindre intention. Avec un médium fruité, chaleureux, des aigus tout juste acidulés, la voix est sonore qui fera merveille dans les rôles (4) qu’elle incarnera ensuite. Les caractères, les situations sont bien différenciés, et nos deux complices excelleront dans l’exercice. Comédienne accomplie, notre soprano rayonne, avec vivacité, tendresse, c’est un délice empreint d’émotion. La conduite du chant, le soutien, le style, l’égalité des registres, l’aisance, le modelé de chaque phrase, tout concourt à notre bonheur. Il en va de même dans le « Per pietà » (à ne pas confondre avec l’air de concert pour ténor, K 420), cantilène à quatre couplets, créée à Milan. Les quatre vers de Métastase suffisent à nourrir l’inspiration du prodigieux gamin de 13 ans… Aucune intention démonstrative, après un récitatif introductif, c’est un air à reprises variées, avec un passage pathétique central. Le public est conquis, sous le charme, et ses acclamations appellent un bis, le « Voi che sapete » que chante Chérubin, ému, épris de la Comtesse, est un bonheur supplémentaire.
(1) Le prochain festival Messiaen, à La Meije, l’accueillera pour les 13 pièces de Catalogue d’oiseaux (le 21 juillet).
(2) Le très nombreux public se voyait proposer une brève présentation souriante de chaque sonate, de chaque groupe de mélodies ou d’airs, en français comme en anglais.
(3) 28 ans après, Schubert composera un lied de réponse « Luisens Antwort », D 319.
(4) Tour à tour Ilia (Idomeneo), Despina (Cosi fan tutte), Suzanna et Cherubino – en bis – (Le Nozze di Figaro)