C’est un mélange de rigueur et de fantaisie qui préside à la reprise au Bayerische Staatsoper de cette production de Cosi fan Tutte crée à l’automne 2022.
Un système de boites, avançant, reculant, se déplaçant latéralement nous transporte dans différents univers plus ou moins glauques : d’abord, l’espace interlope d’un hôtel de passe où Don Alfonso affublé d’un attirail sado-maso quitte à regret une prostituée qui porte le même uniforme que Despina. A même le sol, un vieux matelas crasseux nous suivra dans les tableaux suivants : une arrière-cour envahie de graffitis obscènes ou encore – assez inattendu mais étonnement efficace scéniquement – le garage d’un pavillon de banlieue où une magnifique berline allemande servira aux héroïnes à provoquer, s’isoler ou fuir les attentions trop pressantes de leurs amoureux. L’humour, d’ailleurs, s’instille partout, comme lorsque Fiordiligi tente de s’y suicider au dioxide de carbone ou de s’ouvrir les veines avec une scie.
L’australien Benedict Andrews aime filer les métaphores : Despina mettra finalement le feu au matelas, celui des illusions sensuelles, peut-être ? Les boites, de plus en plus grandes, disparaitront finalement au profit d’une utilisation intégrale du plateau mais plongé dans l’obscurité, comme si, avec le doute, les questionnements sur la fidélité, l’univers conformiste des protagonistes s’élargissait enfin, mais dans une perspective pleine de noirceur.
Autre élément scénographique majeur, un château de contes de fées, d’abord de la taille d’un jouet d’enfant, puis de celle d’une cour de récréation, devient un immense château gonflable qui crèvera avec les illusions de certains personnages.
Vous l’aurez compris les choix esthétiques ici, ne sont pas ceux de la beauté classique, néanmoins, sublimée par les belles lumières de Mark Van Denesse, la scénographie de Magda Willi est une indéniable réussite où aucun choix n’est gratuit mais concourt toujours à l’expression du sous-texte de l’œuvre.
La dramaturgie de Katja Leclerc présente la vraie faiblesse de réduire essentiellement les sentiments à de simples pulsions sexuelles. Dorabella et Despina minaudent à qui mieux mieux, se laissant aller à tous les truismes de la séduction. Le trait, un peu épais, ne brille pas par sa finesse, ce qui n’empêche pas Sandrine Piau, pétulante à souhait, de nous régaler tandis qu’Avery Amereau déploie tout le raffinement de sa palette sensuelle et cuivrée.
Si cette « école des amants » est avant tout celle de la libido, le fait que les couples ne se reforment pas vraiment dans la dernière scène, leur désarroi si palpable élargit finalement le propos comme on l’aurait espéré plus tôt.
D’ailleurs, lorsque le plateau dépouillé se trouve presque englouti dans l’obscurité, nous plongeons véritablement dans l’intériorité des personnages. En effet, avec beaucoup d’intelligence, la mise en scène créée une rupture visuelle à deux moments clefs lorsque Fiordiligi et Ferrando sombrent dans l’introspection et doutent de leurs choix. L’effet est aussi simple qu’efficace : l’heure n’est plus au badinage et à la légèreté. Comme toujours, Mozart s’élève au dessus de son sujet et ses interprètes avec lui, dans deux poignants moments où l’âme vacille.
Louise Alder offre alors un pur moment de grâce dans Per pietà, ben mio, perdona déjà éprouvé au premier acte avec Come Scoglio. Bogdan Volkov n’est pas en reste, tout de délicatesse, particulièrement émouvant dans Tradito, schernito. Le ténor, lauréat du Concours de l’Opéra de Paris en 2015 forme une paire épatante avec le non moins excellent Konstantin Krimmel.
Tous deux sont manipulés avec superbe par un Johannes Martin Kränzle à l’abattage impeccable, cynique à souhait en Don Alfonso, raffinant sans fin ses couleurs pour mieux circonvenir les différents protagonistes.
A vrai dire, le plateau scénique est assez sensationnel, les tuttis dégagent une grâce absolue tant les voix fonctionnent idéalement dans les ensembles – si cruciaux dans Cosi fan Tutte –, se complétant avec fluidité, suavité, dans une écoute idéale des partenaires.
Hormis pour Ferrando, le cast est inchangé depuis l’origine de la production. Les artistes se connaissent donc très bien, une complicité perceptible sans qu’aucune usure, aucune lassitude n’affleure dans leurs propositions. La fraîcheur des émotions, l’élégance de l’expression musicale dans un parfait respect du style sont ici proverbiales pour tous.
Les chanteurs sont soutenus par une formidable direction d’acteur, ne laissant rien au hasard. Chaque regard, l’éventail délicat des élans amoureux est déplié avec précision et pertinence, faisant honneur au sublime peintre des sentiments qu’est Mozart. De même, dans la fosse, la pâte sonore riche et chaude du Bayerisches Staatsorchester répond comme un seul homme à la baguette subtile du très rock & roll Stefano Montanari. Tout le premier acte adopte des tempi très enlevés où les récitatifs sont exactement tuilés avec les aria, sans temps morts et accompagnés par un clavecin pour le moins créatif. Plus les certitudes vacillent, plus les silences s’élargissent. La poésie affleure toutefois dès le début du spectacle comme dans Soave sia il vento où les nuances de l’orchestre évoquent merveilleusement un cœur qui bat.