Le fruit est encore un peu vert mais ne manque pas de saveur : le Chœur de chambre Mélisme(s) offre ce soir la primeur de son nouveau spectacle à l’opéra de Rennes qui l’accueille en résidence depuis 2016.
Monté en quelques jours, « Dans le c(h)œur de Mozart » esquisse le portrait du compositeur autour de pages célèbres et d’extraits de sa correspondance.
Le programme de salle nous installe dans la chambre de l’agonisant, se remémorant son passé à hiver 1791, comme un écho à la scène célèbre d’Amadeus. Pourtant, le lit reste vide et c’est Nannerl, la sœur aînée et aimée qui prend la plume pour évoquer son illustre frère.
Les membres du chœur s’emparent bientôt en polyphonie d’une lettre à Bäsle, la cousine si friponne, pour mieux dire la fantaisie scatologique de Wolfgang.
Ainsi, avec une notable fluidité, chacun anime différents tableaux propres à illustrer les pièces musicales comme les intermittences du cœur de l’épistolier. Parfaitement calibré, sans lourdeur excessive, le fil narratif délaisse Leopold ou Colloredo pour se concentrer sur les figures féminines de l’enfance – Anna Maria et Maria Anna. Il joue également de la complicité du public lorsqu’après avoir sifflé les dames, leurs alter-ego masculins chantent suavement « Das klinget so herrlich », inconscients de ce que leurs belles les menacent de représailles armées. La reddition des hommes illustrée par le choeur final de la Flûte enchantée « Heil sei euch Geweihten », se trouve alors fort comiquement détournée de son sens originel.
Les choristes se connaissent parfaitement et chacune de leurs interventions est un régal d’engagement musical et scénique. Dès l’extrait de l’Enlèvement au Sérail « singt dem grossem Bassa Lieder » éclate la générosité d’une pâte sonore riche et ductile. Cette remarquable énergie se confirme avec le début du final du premier acte de l’Italienne à Alger de Rossini aux contrastes affirmés. « Che del ciel », extrait de la Clémence de Titus, ravit de nuances, de la conduite de la ligne, de l’équilibre des pupitres, tout comme les tutti de la Flûte ou du Requiem avec le « Lacrimosa » en apothéose.
© Laurent Guizard
Les silhouettes les plus fameuses des opéras sont également présentes : le voile de mariée de Suzanne devient celui de Rosine pour coiffer finalement Barberine. Car la soirée propose également quelques brèves incursions chez Beaumarchais, Rossini ou encore Sophie Gail, sa contemporaine, que pourtant le musicien ne rencontra pas lors de son tragique voyage parisien.
A Lille cet hiver, le David et Jonathas de Charpentier avait été l’occasion d’applaudir Jean-Christophe Lanièce en Saül. Quel plaisir de le retrouver ici parfaitement à son affaire en Figaro ou Papageno ! Le timbre noble et limpide séduit toujours, tout comme le legato et l’absence d’effort apparent de l’émission.
La présence de Stéphanie Olier en charge du « chantsigne » constitue l’un des traits les plus originaux de la proposition de Katja Krüger. La jeune metteuse en scène intègre cette interprète à part entière aux moments les plus prenants, donnant à ses interventions une résonance singulièrement touchante. « Ach ich fühl’s » – instant de grâce pour Sheva Tehova – prend ainsi un relief supplémentaire. Les deux interprètes, à cour et jardin, disent le langage mystérieux de l’amour, l’incommunicabilité du sentiment d’abandon.
La soprano prend de l’assurance au fil de la soirée. Si les graves ne sont pas appuyés, on leur voudrait plus d’étoffe dans « Non piangete » de la compositrice Maria Teresa Agnesi. Même avec la touchante Barberine, on souhaiterait plus de plénitude au timbre juvénile. La romance de Sophie Gail « Je sais bien que la jeunesse » met bien plus en valeur une transparence du son, une délicatesse de l’interprétation qui s’épanouissent totalement avec Pamina.
L’octuor Astrolabe, moins aguerri que le chœur ou les solistes, est plus fragile. L’oreille est agréablement perturbée par le diapason à 430 et les arrangements – très réussis – de cette formation originale. Les instruments d’époque apportent chaleur et rondeur à un son dont on déplore toutefois des moments de justesse aléatoire et un manque d’homogénéité.
Ce « c(h)œur de Mozart » aura besoin d’être poli pour révéler tous ses arômes, mais déjà l’essentiel est là.