C’est avec joie que l’on retrouvait ce soir L’Enlèvement au sérail, un opéra qui n’est pas si fréquemment représenté en France, les dernières représentations à Paris datant de 2015 pour l’Opéra de Paris et de 2016 pour le Théâtre des Champs-Élysées. Pour cette version de concert, les textes parlés ont été astucieusement adaptés en français par Ivan Alexandre. Confiés exclusivement au personnage de Selim, campé par Eric Ruf, comédien et administrateur général de la Comédie-Française, ces monologues ont l’avantage de la lisibilité, mais leur sonorisation crée un contraste curieux avec les parties musicales. Tout comme dans la récente mise en scène de La Flûte enchantée par Cédric Klapisch, le passage au français se révèle un bon compromis lorsque la distribution n’est pas entièrement germanophone.
Après des débuts réussis en Donna Anna il y a quelques semaines, Florie Valiquette aborde pour la première fois le personnage de Konstanze, créé pour le « gosier agile » de la cantatrice Caterina Cavalieri. La soprano canadienne triomphe sans effort apparent des innombrables difficultés du rôle, même si la voix reste plutôt légère pour le rôle – on rappellera qu’elle était initialement prévue pour incarner le rôle de Blondchen. Émouvante dans les arias « Ach ich liebte » ou « Traurigkeit », Florie Valiquette illustre de manière convaincante tant la détresse que la force intérieure du personnage. La cantatrice, qui avait enregistré quelques airs du rôle en version française l’an passé dans son album « La Captive du sérail », aura sans doute l’occasion de parfaire son incarnation du personnage à l’occasion d’une nouvelle production de l’œuvre, en français, qui sera donnée en 2024 à l’Opéra Royal de Versailles.
En véritable rossinien, Levy Sekgapane saisit quant à lui avec Belmonte l’occasion de mettre en valeur l’agilité naturelle de sa voix et son aisance dans les aigus. Les vocalises finales de « Ich baue ganz », véritable défi pour plus d’un ténor, sont ainsi remarquablement gérées. Cependant, le jeune ténor a davantage de mal à traduire le lyrisme et le caractère passionné de son personnage, ce qui se ressent particulièrement dans le duo avec Konstanze au dernier acte, qui n’atteint pas le degré d’émotion nécessaire.
La basse géorgienne Sulkhan Jaiani, remarquée dans la récente production de Boris Godounov à Toulouse (et bientôt ici même au TCE), est un Osmin impressionnant. Donnant au personnage les aspects à la fois comique et tyrannique exigés par le rôle, le chanteur, particulièrement à l’aise dans l’extrême grave, navigue sans accroc dans la grande étendue vocale du rôle. Si le contre-mi de son « Durch Zärtlichkeit und Schmeicheln » n’est atteint qu’in extremis, c’est que la voix de la Blondchen de Florina Ilie lorgne déjà davantage vers Konstanze. La soprano roumaine brille toutefois par des lignes vocales légères et agiles, un air enjoué et une fraîcheur naturelle parfaitement adaptés. Enfin, de spectacle en spectacle, Sahy Ratia confirme les espoirs placés en lui. Par son engagement scénique et sa complicité avec le public, il apporte la vivacité comique nécessaire au personnage de Pedrillo. Sur le plan vocal, le ténor malgache est tout aussi à l’aise dans les passages énergiques de l’air « Frisch zum Kampfe » que dans la délicatesse de la romance « In Mohrenland gefangen war ».
Avec une familiarité désormais bien établie avec le répertoire mozartien, dont il vient de graver plusieurs symphonies et concertos, Julien Chauvin se montre ce soir parfaitement dans son élément. Pas baroqueuse pour un sou – aucun continuo au pianoforte ni ornementations –, sa direction du premier violon met en valeur la cohérence de l’architecture générale et la solidité du discours. D’une cohésion à toute épreuve – les cordes sont superbes –, le Concert de la Loge s’illustre tout au long de la représentation, avec quatre impeccables solistes dans le fameux « Martern aller Arten » de Konstanze. Au final, et même si toutes les prises de rôle ne sont pas entièrement accomplies, cette parfaite exécution orchestrale et ces promesses vocales donnent une belle soirée mozartienne. Le spectacle a fait l’objet d’une captation audiovisuelle et sera prochainement diffusé sur la chaîne TCE Live.