La saison des retransmissions du Metropolitan Opera au cinéma s’est brillamment achevée ce samedi 3 juin avec La Flûte enchantée signée Simon McBurney. Cette production, nouvelle pour le Met où elle aurait dû être représentée au cours de la saison 2020 /2021 annulée pour cause de covid, a été créée aux Pays-Bas en 2012 avant d’être proposée au Festival d’Aix-en-Provence en 2014 et enfin à l’English National Opera en 2019. Le metteur en scène britannique situe l’action à notre époque dans un monde en guerre comme en témoignent les treillis que portent les trois dames au lever du rideau ou la tenue de guérilla de Tamino à l’acte deux. La plupart des costumes se déclinent dans des teintes sombres à l’exception de ceux de Papageno et Papagena vêtus de tenues colorées, jaune, bleu, rose et de la robe blanche de Pamina. Au centre l’action se déroule sur une immense planche carrée mobile qui se surélève ou s’incline au gré des différents tableaux. De part et d’autre le public assiste à la mise en place du bruitage et des projections. Côté jardin, une cabine où sont réalisés les effets spéciaux visuels, comme l’apparition du serpent au premier acte, le feu et l’eau des épreuves au second, et côté cour, un bar avec des bouteilles qui serviront d’harmonica de verre pour l’air de Papageno « Ein Mädchen oder Weibchen », ainsi que d’autres accessoires dévolus aux divers effets sonores, vent, pluie, chants d’oiseau, etc… Sur la scène, les oiseaux sont représentés par des figurants qui agitent des feuilles de papier. La fosse est surélevée pour permettre aux musiciens d’être sur le même plan que les personnages et pour certains d’être intégrés à l’action comme le flûtiste ou le percussionniste qui joue du glockenspiel. La direction d’acteurs est extrêmement précise et rigoureuse. La trame du récit imaginé par Schikaneder et Mozart est respectée à quelques détails près. Ici les trois enfants, maquillés en petits vieux, ressemblent au Gollum du Seigneur des anneaux et la Reine de la nuit est une vieillarde en fauteuil roulant, symbole sans doute d’un monde finissant A la fin de l’ouvrage, au lieu d’être renvoyée dans les ténèbres, elle obtient le pardon de Sarastro et entre avec lui dans la lumière pour assister au triomphe de sa fille aux côtés de Tamino, un dénouement somme toute discutable.
Zauberflöte © Karen Almond / Met Opera
La distribution homogène et sans faille est dominée par l’étonnante prestation de Kathryn Lewek en Reine de la nuit qui interprétait ce rôle pour la cinquantième fois sur la scène du Met. Un record. La voix quelque peu rocailleuse est large et semble bien projetée, elle se fait suppliante dans son air d’entrée pour mieux manipuler Tamino et agressive dans un « Der Hölle Rache » spectaculaire chanté avec une intensité confondante. Si ses contre-fa bien présents ne sont pas toujours impeccables, leur efficacité redoutable a conquis le public qui a réservé une longue ovation à la cantatrice à l’issue de l’air. Erin Morley campe une Pamina exquise dont la fragilité est mise en valeur par son timbre clair et la délicatesse de sa ligne de chant dans son « Ach ich fühl’s » particulièrement émouvant qu’elle conclut par un si bémol pianissimo. A ses côté, Lawrence Brownlee propose un Tamino vocalement irréprochable. Le timbre ne manque pas de séduction et son interprétation nuancée de « Dies Bildnis ist bezaubernd schön » convainc d’emblée l’auditoire. Sa longue fréquentation du répertoire belcantiste s’avère un atout dans ce rôle particulièrement complexe et son allemand est tout à fait intelligible. Scéniquement, en revanche, l’acteur est un peu gauche et l’on a du mal à l’imaginer, surtout au cinéma, en prince charmant capable de séduire Pamina au premier regard ou de susciter la concupiscence des Dames de la nuit. Pour ses débuts au Met Thomas Oliemans, grand habitué du rôle de Papageno dont il s’est fait une spécialité, incarne un oiseleur attendrissant et drôle. Le Baryton néerlandais dispose de moyens solides associés à une belle présence théâtrale. Stephen Milling possède une voix profonde et sonore qui lui permet d’assumer avec aisance les fa graves qui parsèment sa partie. Son Sarastro a toute l’autorité bienveillante que requiert le personnage. Enfin Brenton Ryan est un Monostatos à la voix brillante et bien projetée dont l’air « Alles fühlt der Liebe Freuden » a été chaleureusement accueilli. Saluons enfin les apparitions des trois Dames tour à tour délurées ou inquiétantes, impeccables vocalement, tout comme les trois enfants à la voix blanche et juste.
Zauberflöte © Karen Almond / Met Opera
A la tête d’un Orchestre et des Choeurs du Metropolitan en grande forme, Nathalie Stutzmann aura offert au public new-yorkais un diptyque gagnant même si sa direction de La Flûte, pour remarquable qu’elle soit, n’atteint pas tout à fait les mêmes sommets que celle de son exceptionnel Don Giovanni du 22 mai. La partition est donnée dans son intégralité à l’exception du duettino « Bewahret euch vor Weibetücken » entre les deux prêtres dont le texte a sans doute été jugé politiquement incorrect.
La prochaine saison des retransmissions du Metropolitan Opera dans les cinémas du réseau Pathé Live s’ouvrira le21 octobre 2023 avec Dead Man Walking, un opéra contemporain de Jake Heggie avec Joyce DiDonato.