On connaît l’amour que Cédric Klapisch porte à la danse, ne serait-ce qu’à travers l’émouvant film En corps ou le documentaire sur les adieux au Ballet de l’Opéra de Paris d’Aurélie Dupont. C’est ce soir à un autre défi que s’attelle le cinéaste français : mettre en scène un opéra, et non des moindres puisqu’il s’agit ni plus ni moins de l’un des principaux chefs-d’œuvre du répertoire lyrique. Cédric Klapisch a souhaité souligner l’aspect humaniste de l’œuvre, et le rapport de l’homme à la nature, au regard de préoccupations actuelles. « Le nucléaire, le dérèglement climatique, l’addiction aux écrans, la surindustrialisation, nous sauvent et nous effraient tout à la fois », signale-t-il dans sa note d’intention.
La mise en scène présente l’acte I comme une immersion dans une jungle luxuriante, peuplée d’arbres imposants et de lianes. L’illustrateur Stéphane Blanquet donne vie au serpent et aux animaux, animés par les élèves de l’école d’animation de Sèvres, transformant progressivement la forêt à l’approche du Temple de Sarastro. Le passage de l’obscurité, représentant le monde de la Reine de la Nuit, à la lumière, celui de Sarastro, est habilement orchestré. À l’acte II, la scénographie dévoile une architecture monumentale, illustrant la transition vers un monde moderne et aseptisé, où la nature est maîtrisée. Les costumes de Stéphane Rolland, les maquillages colorés s’intègrent harmonieusement à cette esthétique d’ensemble.
La grande force de ce spectacle est sa lisibilité, et son respect constant de l’écriture musicale. Ainsi, le groupe des Trois Dames est remarquablement chorégraphié, sans que jamais l’équilibre vocal du trio en soit gêné. De même, si l’on peut contester le choix d’avoir traduit en français (et largement adapté) les dialogues parlés, force est de reconnaître que cela est fait avec élégance et humour. Finalement, la proposition de Cédric Klapisch, délicieusement naïve, parfaitement éclairée par Alexis Kavyrchine, apparaît comme un bel équilibre entre une certaine tradition (pas de réécriture, ni de transposition du livret) et un désir d’aller au près du spectateur actuel. Au moment où les débats font rage entre anciens et modernes quant aux mises en scène d’opéra, on peut saluer cette réussite, même s’il y a évidemment mille autres façons de présenter La Flûte enchantée.
Aleksandra Olczyk est déjà, malgré son jeune âge, une des spécialistes du rôle de la Reine de la Nuit, qu’elle a déjà chanté entre autres à New York, Dresde, Londres ou Berlin. Peut-être dans un mauvais jour, la soprano ne convainc pas ce soir : si la projection vocale, notamment dans le suraigu, est appréciable, les difficultés du rôle ne sont pas maîtrisées (contre-fa presque faux dans « Der Hölle Rache », vocalises savonnées dans le premier air).
Pour le reste, la distribution, jeune et homogène, ne comporte aucun point faible et s’intègre parfaitement dans la mise en scène, notamment car les dialogues parlés sont excellemment déclamés. Investie et précise, la Pamina de Regula Mühlemann s’avère également émouvante dans les pianissimi aigus de « Tamino mein ! », ou encore dans un « Ach, ich fühl’s » habité. Dominant sans peine la tessiture de Tamino, Cyrille Dubois incarne un prince délicat, admirable musicalement, qui ornemente avec inventivité et panache la partition. Très à l’aise scéniquement et vocalement, le Papageno de Florent Karrer est gouailleur et drôle à souhait, face à la Papagena piquante de Catherine Trottmann. Jean Teitgen en Sarastro captive le public par une voix profonde et une interprétation à la fois empreinte de solennité et de grâce. Quelle excellente idée d’avoir confié le rôle de Monostatos à Marc Mauillon : le baryton français, irrésistible en Maure SM, y fait merveille, ne faisant qu’une bouchée de son aria « Alles fühlt der Liebe Freuden ». Remarquablement coordonnées, vocalement bien équilibrées, les trois Dames de Judith van Wanroij, Isabelle Druet et Marion Lebègue sont un régal. Enfin, les trois enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine livrent enfin une prestation vocale émouvante, et tous les seconds rôles sont parfaitement campés et chantés (Ugo Rabec, Blaise Rantoanina et Josef Wagner).
Quelques semaines plus tôt dans ce même théâtre, on avait admiré une puissante Symphonie Jupiter dirigée par François-Xavier Roth. On retrouve ce soir les mêmes qualités dans la fosse d’orchestre. François-Xavier Roth, lorgne comme d’habitude davantage vers Berlioz que vers une lecture chambriste. S’il privilégie une conception architecturale d’ensemble ainsi que la beauté des équilibres sonores, bien loin d’une lecture baroqueuse de l’œuvre, le chef ne s’interdit pas une certaine liberté : intervention de certains instruments soli (basson, violon), changements de rythme. Les instrumentistes des Siècles, jouant sur des copies d’instruments viennois au diapason d’époque à 430 Hz, sont quant à eux excellents de précision. Saluons pour terminer la belle prestation du Chœur Unikanti, précis et solennel dans « O Isis und Osiris ».