Don Giovanni, dramma giocoso – drame joyeux ? Les rires fréquents du public l’attestent lors de cette reprise du chef d’œuvre de Mozart dans la mise en scène de Vincent Huguet au Staatsoper. Marc Minkowski le démontre variant les climats, jouant des humeurs, la baguette tantôt légère, tantôt grave, sans toutefois insuffler à la pièce l’énergie, la respiration théâtrale auxquelles il nous a accoutumé. Son Mozart parait sage, comme si le maestro était intimidé face à un orchestre au prestige légendaire. De fait, la transparence instrumentale – l’impression d’entendre tout, ensemble et séparément –, aide la soirée à paraître moins longue. La transposition de l’action dans le monde de la mode et de la photographie ne retient l’attention que peu de temps, par manque d’idées. D’un loft design taillé dans le béton en première partie, à son arrière-cour en seconde, la chair est triste. Pas de mariage mais un enterrement, celui du commandeur, durant lequel Don Giovanni ne chute pas dans les entrailles de l’enfer mais quitte la scène, ligoté sur un lit d’hôpital.
Le châtiment est mérité. Si on jauge la carrière du libertin à sa fraîcheur vocale, alors les conquêtes de Lucio Gallo dépasse allègrement le nombre de mille et trois. Du maître ou du valet, le séducteur n’est pas celui qu’on pense. Riccardo Fassi a débuté en 2014 en Masetto. Nul doute qu’il sera un jour Don Giovanni (s’il ne l’a déjà été) tant sa voix de basse impressionne, trop presque pour un estafier, trop profonde aussi si l’on aime Leporello moins digne, moins père noble, plus goguenard et plus expressif. Antonio Di Matteo bénéficie du soutien de la sonorisation, condition nécessaire mais non suffisante pour que son Commandeur soit d’outre-tombe. L’émission déroutante de Jeanine De Bique, en arrière, l’absence de couleurs ne l’empêchent pas de se tailler un franc succès, juste récompense d’un « Non mi dir » aux coloratures ciselées. Mais dans quelle langue chante Donna Anna ? « Mi tradi » nuancé, habité, prouve que Donna Elvira n’est pas irrémédiablement condamnée à virer au vinaigre, comme le laissait redouter auparavant le soprano acrimonieux de Gabriela Scherer, tout de frustration tendu. L’air hélas intervient à la fin de l’opéra. Regina Konz est une Zerlina poids plume, gracieuse et musicale ; Adam Kutny un Masetto sans excès de charisme – après tout, le rôle l’exige. Que n’a-t-on médit sur don Ottavio, personnage languide, insipide, voire inutile. Confié à Bogdan Volkov, ténor en apesanteur, suspendu entre tête et poitrine, sur le souffle d’un « dalla sua pace » en état de grâce et plus tard d’un « il mio tesoro », sensible, limpide, élégant, il est le seul souvenir que l’on gardera de la représentation – gageons-le – lorsque le temps aura flouté notre mémoire.
Le choix de la version avec lieto fine rallonge la soirée d’une dizaine de minutes. On n’aurait pas été mécontent d’en être dispensé.