Après avoir recouru à la mise en scène d’Ivan Alexandre pendant plusieurs saisons, l’Opéra Royal du Château de Versailles se dote de sa propre production de Don Giovanni. Le metteur en scène retenu pour l’occasion, Marshall Pynkoski, a souhaité insister sur le caractère enjoué du chef d’œuvre de Mozart, cette « pièce de théâtre comique » (dramma giocoso), en y insufflant son esthétique d’un parfait classicisme.
La structure scénographique de Roland Fontaine, reprise du Giulietta e Romeo de Zingarelli présenté il y a quelques semaines dans cette même maison, constitue l’unique fond de décor. Les personnages y vont et viennent, utilisant portes et fenêtres à leur disposition, dans un tourbillon parfaitement cadencé. La scène d’ouverture est vertigineuse, et, un peu plus tard dans la soirée, le sextuor de l’acte II donne lieu à de virtuoses mouvements avec une parfaite synchronisation entre la musique et l’entrain des chanteurs. Pour autant, et peut-être encore davantage que dans ses mises en scène précédentes, Marshall Pynkoski travaillé au plus près la direction d’acteurs, la chorégraphiant presque. La scène dans laquelle Donna Anna reconnaît le meurtrier de son père devant Don Ottavio est à ce titre éblouissante, se joignant à la perfection au récitatif accompagné.
Symboles d’une production soignée jusqu’au moindre détail, les très belles chorégraphies proposées par Jeannette Lajeunesse Zingg et les huit danseurs du Ballet de l’Opéra Royal sont également à signaler. Combien de productions de Don Giovanni présentent une danse paysanne de l’acte I aussi ciselée que celle de ce soir ? À de rares instants pourtant, cette débauche de mouvements, de costumes et de danses n’est pas loin de frôler l’indigestion : le début du finale du premier acte, où l’on voit de jeunes serveurs danser avec leurs plateaux est à ce titre un peu inutile. Les magnifiques costumes XVIIIe siècle dessinés par Christian Lacroix mettent en valeur les différents personnages et leurs disparités sociales : du noir et du rouge pour les aristocrates, du multicolore pour les paysans. Au final, la production tient son objectif : proposer une mise en scène de répertoire lisible, esthétiquement soignée et vivante.
La distribution réunit de jeunes chanteurs, dont certains font leurs débuts dans leur rôle. Tous investis et talentueux, aucun ne va cependant au bout des exigences de son personnage, le stress d’une première expliquant peut-être cela. Le Don Giovanni de Robert Gleadow est tout aussi brut de décoffrage et carnassier que l’étaient ses Figaro et Leporello, vus à Versailles à plusieurs reprises. Comme souvent avec le baryton-basse canadien, on admire la présence scénique, qui envahit l’espace presque jusqu’à saturation, tout en restant un peu sur sa faim vocalement (« Fin ch’ han dal vino » trop précipité, « Deh, vieni alla finestra » manquant de douceur). Le contraste est fort avec le Leporello au chant très soigné de Riccardo Novaro, irrésistible dans les récitatifs. Après avoir incarné Zerlina, Florie Valiquette fait ce soir de beaux débuts en Donna Anna, en dépit d’une entrée quelque peu tendue. Son investissement fait merveille dans le récitatif accompagné précédant « Or sai chi l’onore », et son timbre cristallin et son aisance dans l’aigu irradient son aria de l’acte II. Privé de « Il mio tesoro », Enguerrand de Hys est un Don Ottavio affirmé, et les très beaux ornements de son « Dalla sua pace » illustrent une musicalité parfaite. On connaissait la Donna Elvira impétueuse d’Arianna Vendittelli de la production Minkowski / Alexandre. Plus posée dans cette nouvelle production, elle trouve de beaux accents tragiques dans « Mi tradi », qui la voit toutefois puiser dans ses extrêmes limites du registre aigu. La Zerlina d’Éléonore Pancrazi, idéale de simplicité, est une belle découverte, tout comme la Masetto de Jean-Gabriel Saint-Martin et le Commandeur de Nicolas Certenais.
Gaétan Jarry dirige l’ensemble avec une énergie impressionnante et communicative, parfaitement en phase avec la mise en scène : beauté des enchaînements, belle attention aux ensembles. Sur instruments anciens, l’Orchestre de l’Opéra Royal n’atteint toutefois pas toujours la cohésion nécessaire, notamment les cordes, comme en témoigne un début de finale de l’acte I un rien désordonné. L’ensemble, encore jeune, gagnera sans doute en précision au fil des quatre représentations, et certains pupitres brillent d’ores-et-déjà, notamment la flûtiste Gabrielle Rubio. Quelques lauriers enfin pour le continuo renversant et humoristique de Ronan Khalil : quelle beauté dans l’accompagnement à la tierce de la mandoline dans la Sérénade de l’acte II !