La Grande messe en ut mineur de Wolfgang Amadeus Mozart est un ouvrage inachevé dont l’histoire de la composition reste soumise à conjectures. Diverses raisons sont avancées pour expliquer le désir du Mozart de composer une messe (car il ne s’agit pas ici d’un ouvrage de commande). Il semble que le compositeur ait voulu réaliser une action de grâce à l’occasion de son mariage avec Constance Weber le 4 août 1782. Mais Constance déclara aussi quarante ans plus tard que son époux avait voulu remercier le Ciel de la naissance de leur premier enfant, Raimund Leopold, le 17 juin 1783, celui-ci mourant malheureusement deux mois plus tard. On avance également le désir de Mozart de se réconcilier avec son père, Leopold, opposé au mariage. Wolfgang et Constance se rendent à Salzbourg en juillet 1783 sans que cette réconciliation n’ait lieu. La messe est créée le 26 octobre et les époux retournent à Vienne le lendemain. Les historiens sont à peu près unanimes pour considérer que l’ouvrage créé est bien la Grande messe, mais que, sa composition étant inachevée (il manque sur le manuscrit une partie du Credo et la totalité de l’Agnus Dei), des fragments provenant d’ouvrages précédents ont vraisemblablement été insérés pour remplacer les parties manquantes. Les raisons pour lesquelles Mozart a stoppé net sa composition ne sont pas davantage établies : peut-être s’agit-il de l’annonce de la mort de leur premier enfant, mais peut-être s’agit-il de raisons purement pratiques, comme le souligne Richard Wigmore dans le programme de salle : un décret de l’Empereur Josef II de 1782 impose une musique religieuse plus austère. Dès lors, la Grande messe, insuffisamment dépouillée, avait peu de chance d’être représentée à nouveau. En 1785, Mozart recyclera le Kyrie et le Gloria dans sa cantate Davide penitente. La première édition de l’ouvrage (Alois Schmitt), en 1901, incorpore des extraits d’autres messes, au risque d’un manque d’homogénéité stylistique. Certaines exécutions ne prennent en considération que la musique effectivement écrite pour la Grande messe, d’autres choisissent de la compléter : dans ces conditions, la durée d’un concert peut varier de 40 minutes à près d’une heure et demi, suivant les tempi adoptés ! Fort de l’accueil de son édition du Requiem de Mozart, le pianiste et musicologue Robert D. Levin a proposé une nouvelle version basée sur des esquisses de cette même année 1783 et sur un air composé pour David penitente (c’est-à-dire le recyclage inverse de celui pratiqué par Mozart en 1785), « Tra l’obscure ombre funeste ». Levin revisite également l’orchestration traditionnelle pour offrir, selon l’opinion de Wigmore, un tout cohérent synthétisant les influences du baroque allemand et du rococo italien, et le style plus personnellement mozartien.
Le quatuor de jeunes chanteurs est très différemment sollicité suivant les pupitres. La voix de Juliette Mey est bien projetée, d’une belle couleur un peu ambrée, homogène sur l’ensemble de la tessiture. Les passages vocalisants ne lui offrent par ailleurs aucune difficulté : un sans faute. Regula Mühlemann est particulièrement à l’aise dans les zones les plus aiguës de sa partie, avec un timbre claire, quasi angélique. Le médium est en revanche peu corsé. Peu charitable, Mozart lui a également écrit quelques notes graves difficiles. Dans un rôle plus court, mais avec tout de même un air dédié, Jan Petryka offre un joli timbre de ténor mais laisse entrevoir quelques limites techniques dans les parties plus vocalisantes. Sa projection reste par ailleurs en retrait de celle de ses partenaires. Mozart n’a pas gâté la basse pour sa composition et il faut attendre le quatuor du Benedictus pour apprécier la voix chaude et le style élégant de Yasushi Hirano contraint à faire tapisserie depuis le début du concert !
Cette version bénéficie surtout d’une exécution orchestrale et chorale qui flirte avec le sublime et dont il faut féliciter en premier lieu son maître d’oeuvre, le chef Gianluca Capuano. Les Musiciens du Prince – Monaco ne sont pas ici un simple accompagnateur, mais pratiquement un soliste à par entière. L’orchestre a été créé au printemps 2016 à l’Opéra de Monte-Carlo, sur une idée de Cecilia Bartoli en collaboration avec Jean-Louis Grinda, alors directeur de l’institution monégasque. Gianluca Capuano en est le chef principal depuis mars 2019. Il a su développer une sonorité propre à ce nouvel orchestre, combinant la vivacité habituelle des formations sur instruments anciens, à un fruité et une épaisseur de son propre à séduire les auditeurs pour lesquels ce type de formations offre parfois un son trop sec. Composé de près de cinquante instrumentistes, l’orchestre offre ainsi un son riche, capable de remplir la grande salle de la Felsenreitschule sans non plus se faire piéger par une acoustique parfois trop réverbérée. Surtout, l’orchestre est une authentique partie prenante de cette messe qu’il anime d’une profonde spiritualité. Qui plus est, la formation orchestrale est en parfaite symbiose avec les deux chœurs mobilisés pour l’occasion, Il Canto di Orfeo et le Bachchor Salzburg : puissance, expressivité et agilité au service de l’émotion. On notera également les passages à double-choeur qui induisent une impressionnante spatialisation (les choristes sont disposés traditionnellement en fond de salle mais aussi, pour le Qui Tollis, le Sanctus et une partie du Benedictus, de part et autre de l’orchestre, tessitures aiguës côté jardin, graves côté cours). Le public ovationnera au final chef, choeur et orchestre.