La fameuse Grande Messe en ut mineur K. 427 de Mozart est régulièrement programmée à la Philharmonie. On se souvient notamment de versions mémorables dirigées ici même par John Eliot Gardiner en 2016 ou encore par Marc Minkowski en 2018. Profondément influencée par Bach et Haendel, cette œuvre est, on le sait, restée inachevée. Pour le concert de ce soir, Jordi Savall en propose une version reconstituée par Luca Guglielmi, qui assure également ce soir la partie d’orgue. Pour l’occasion, l’artiste italien, comme il l’explique dans le programme de salle a enrichi les sections laissées inachevées (Credo, Sanctus et Agnus Dei) en s’efforçant de « minimiser les nouvelles compositions et d’utiliser autant que possible la musique originale de Mozart ». Guglielmi a ainsi puisé dans d’autres œuvres du compositeur (cantate Davide penitente K 469 et Messe en ut majeur K 337 par exemple), et en écrivant certains accompagnements laissés incomplets dans le manuscrit original. Si la reconstitution est habile, il est toujours difficile d’y adhérer complètement lors d’une première écoute, les ajouts sonnant toujours un peu bizarrement à l’écoute d’une œuvre si connue.
Au-delà de la brièveté frustrante du concert – une heure de musique à peine, c’est décidément trop peu –, c’est surtout la direction de Jordi Savall qui suscite des réserves. Trop empressée et rigide, elle prive l’œuvre de la respiration nécessaire à son déploiement. Plus d’une fois, les solistes se retrouvent en difficulté dans leurs vocalises, faute d’un soutien suffisamment souple, et surtout, jamais ne s’installe ce sentiment de recueillement qui devrait habiter cette Messe. Tout se passe comme si l’artiste espagnol, au lieu de laisser la musique s’épanouir, poursuivait un métronome implacable.
Les choristes de La Capella Nacional de Catalunya et les instrumentistes du Concert des Nations, malgré leur engagement, ne parviennent pas totalement à compenser cette raideur. Les premiers, toujours investis, manquent parfois de précision, notamment dans les passages à double chœur et les fugues, où l’équilibre et la netteté des lignes laissent à désirer. Les seconds offrent certes de belles couleurs instrumentales – avec notamment des cuivres expressifs et un trio de solistes remarquable dans le « Et incarnatus est » –, mais souffrent d’un manque de cohésion et de puissance.
Heureusement, l’équipe de solistes vient quelque peu sauver cette soirée en demi-teinte. Là encore, on aurait toutefois aimé que la direction leur laisse plus d’espace pour s’épanouir pleinement. Les sopranos Giulia Bolcato et Elionor Martínez, aux timbres d’une belle pureté, surmontent avec brio les exigences techniques de leurs arias, tandis que la mezzo Marianne Beate Kielland impose une présence affirmée dans le « Laudamus te ». Moins sollicités par la partition, le ténor David Fischer, impeccable dans les vocalises du « Quoniam », et la basse Matthias Winckhler complètent avec élégance ce quintette vocal.