Reprise au Staatsoper Unter den Linden de la production de mars 2023 de l’Idomeno repensé par David McVicar et salué alors par la critique. Cette fois-ci, la distribution est entièrement renouvelée, du chef au quintette vocal à l’exception du rôle d’Elettra. Et c’est indiscutablement l’impression d’un cast B qui prévaut à l’issue d’une soirée dans l’ensemble décevante, au vu des attendus de la maison. Pour l’avant-dernière représentation de cette reprise, le public a du reste boudé son plaisir, les deuxième et troisième balcons restant aux trois quart vides, et les rangs se clairsemant au fil des deux entractes.
David McVicar fait le pari de l’extrême simplicité dans l’exposé d’une histoire qui, il est vrai, se prête difficilement au jeu d’acteurs. Un seul et même décor pour les trois actes : un plan incliné sur fond noir et l’idée intéressante de faire apparaître des tréfonds de la terre, pendant l’ouverture, ce masque géant d’un dieu difficile à identifier (sommes-nous en Crète, ou plutôt en Asie ? Le caractère japonisant de certaines scènes fait pencher pour cette localisation), et qui va marquer l’extrême soumission des humains aux divinités toutes-puissantes. C’est à la toute fin seulement, lorsque Idomeneo renonce au trône et le confie à son fils que le masque disparaît dans les cieux : les dieux n’imposeront donc plus leur fatum, mais ce sera pour mieux laisser place à la sauvagerie de l’homme : à peine détrôné, Idomeneo est en effet trucidé par Arbace et jeté à la fosse commune ! Pour le reste, pas d’idée vraiment convaincante dans une conduite d’acteur absolument minimaliste.
© Bernd Uhlig
Rien non plus de très emballant dans la fosse : bien sûr, chacun des pupitres de la Staatskapelle est royalement pourvu, mais si un orchestre n’était qu’une somme de pupitres, cela se saurait ; on attend du chef une vraie conduite dramatique, une présence aux chanteurs et au chœur et bien sûr une parfaite compréhension du discours musical. Pierre Dumoussaud ne nous a pas convaincu dans ces domaines. L’ouverture est rondement et bellement menée, rien à dire à cela, si ce n’est que ce rythme va terriblement s’essouffler par moment (« Idol mio, se ritroso »). On regrettera aussi des décalages trop nombreux avec les chœurs et parfois même les chanteurs (trio du II et quatuor du III) et une conduite de la ligne musicale qui interroge.
On sait qu’avec cette commande Mozart a voulu frapper un grand coup et il nous lègue plus de trois heures de musique ébouriffante et souvent d’une redoutable virtuosité. Une virtuosité qui, lorsqu’elle est maîtrisée, ne doit pas laisser transparaître l’effort – c’est bien en cela qu’elle est redoutable. On a rarement eu cette impression de maîtrise dans les parties ornées des différents arias ; l’Arbace de Andrès Moreno Garcia est doté d’un ténor solide, vaillant et au timbre chaleureux ; mais l’agilité fait cruellement défaut dans son air introductif du II ; même difficulté pour Saimir Pirgu (Idomeneo) dans le pourtant très attendu « Fuor del mar ». Pour le reste Pirgu est un roi de Crète viril, puissant et dans l’ensemble convaincant.
Le trio féminin est de grande qualité ; on attendait Olga Peretyatko (Elettra) dans son « D’Oreste, d’Aiace », on n’est pas déçu. Un final flamboyant, une technique assurée. La projection est parfois un peu juste (« Idol mio, se ritroso »), mais la présence sur scène fait tout oublier. Anna Stéphany réussit à rendre à Idamante la masculinité voulue pour ce rôle. Mais c’est clairement Mélissa Petit (Ilia) qui convainc le plus. Sa scène d’entrée, récitatif, arioso, aria est rendu dans toute sa complexité. C’est une magnifique entrée en matière qui campe le personnage : les aigus filés sont magnifiques et la conduite du chant irréprochable. Déjà remarquée l’été dernier à Salzbourg (Orfeo ed Euridice), la soprano française, trop peu présente sur les scènes hexagonales, ajoute un nouveau rôle sur mesure et conséquent. D’autres devraient suivre.