Pour l’ouverture de sa saison, L’Opéra Royal de Wallonie-Liège propose un bain de couleurs mozartiennes sous le signe de la fatalité avec une version d’Idoménée mise en scène par Jean-Louis Grinda qui joue ici à domicile, puisqu’il a dirigé la Maison pendant près de dix ans.
L’omniprésence des Dieux et leur dévoilement progressif aux humains est travaillé avec précision par le biais d’abord de leurs sbires dans une fantaisie toute baroque : deux figurants grimés en hippocampes bleus armés de tridents ; des créatures à tête d’animaux, une main de pierre géante d’abord tournée vers le ciel puis qui désigne les protagonistes d’un doigt accusateur, les enjoignant silencieusement d’obtempérer à ses décrets. Enfin, un kaléidoscope de papiers, nuage occultant le ciel, s’évanouit pour révéler un masque divin dont l’œil implacable impose de porter le sacrifice d’Idamante à son terme.
Au sol, Laurent Castaingt a conçu un labyrinthe circulaire qui concrétise les déchirements des personnages que des éléments hauts, amovibles, dévoilent ou isolent habilement selon les besoins de la narration. L’effet est particulièrement efficace pour le dernier air d’Elettra qui, plongée un instant auparavant au milieu de la Cour, se retrouve soudain seule sur le plateau, nous précipitant brutalement dans son intériorité dévastée.
Les vidéos d’Arnaud Pottier, projection d’yeux ou de la mer, tour à tour étale ou tempétueuse, complètent cette omniprésence du transcendant qui ne saurait échapper au spectateur tout en en nuançant l’interprétation : n’est ce pas l’humain qui le convoque avant tout ?
Ce bel écrin est complété par les lumières superbes de Laurent Castaingt et des costumes hauts en couleurs dus à Jorge Jara alternant les tableaux pastels, très vifs, dans un syncrétisme historique qui laisse un peu perplexe sans être choquant pour autant.
Les lacunes dans la direction d’acteur sont plus dommageables, malheureusement. Car cette riche scénographie s’avère sous employée, les chanteurs errant de manière récurrente à l’avant-scène entre cour et jardin, se tordant les mains pour évoquer leur désarroi, ce qui dilue notoirement l’impact émotionnel de leur chant. Illia est tout particulièrement victime du phénomène. Maria Grazia Schiavo lui prête pourtant la grâce éminemment mozartienne de son soprano lumineux dans un splendide « Si il Padre perdei » diapré, tout en legato ou encore un bouleversant « Zeffiretti lusinghieri », sans afféterie inutile sur le tapis sensuel proposé par l’orchestre.
Jean-Claude Grinda n’entend pas pour autant affadir cette silhouette dans la posture d’une jeune première pure et innocente. Après s’être peu intéressé à ses affres dans le premier acte, il lui demande d’aller vérifier avec satisfaction que sa rivale n’est plus avant de basculer Idoménée, mort, hors du trône pour couronner elle-même son futur époux… Il y a là un indéniable – et assez inutile – « forçage » du livret et des intentions du compositeur.
Vocalement, le contraste entre les deux protagonistes féminines, Illia et la magnifique Elettra de Nino Machaidze, s’avère idéal. Présence puissante, volcanique, celle qui n’aime pas la monotonie sort avec les honneurs des chausse-trappes d’« Idol mio, se ritroso » qui met en valeur l’or sombre de son timbre corsé et son art des couleurs tout comme dans « Tutte nel cor vi sento » et surtout « D’Oreste, d’Aiace » à la sauvagerie savamment dosée.
Elle ose l’expressivité de la douleur à la révolte jusqu’à la laideur, tout comme Ian Koziara dont l’Idoménée profite de cette belle voix plutôt claire, aussi équilibrée que solidement plantée. « Fuor del mar » est l’occasion de vocalises ébouriffantes et l’émotion bien présente avec « Torna la pace al core » .
Les dilemmes qui agitent le père sont également ceux du fils. Annalisa Stroppa campe un Idamante brillant et projeté sur l’ensemble de la tessiture même si sa justesse interpelle parfois.« Il padre adorato » est particulièrement touchant, il est le seul artiste dont tous les airs sont applaudis par le public.
Cette distribution de choix brille dans les ensembles où les timbres s’harmonisent avec art tant en duo – « S’io non moro a questi accenti » (les amoureux), « Padre, mio caro padre » (père et fils) – qu’en terzetto « Pria di partir, oh Dio » ou quatuor « Andrò ramingo e solo ».
L’Abrace de Riccardo Della Sciucca à la belle présence posée complète avantageusement la distribution avec très beaux aigus et une excellente diction tandis qu’à l’autre bout de l’ambitus Inho Jeong prête à la Voix dans « Ha vinto Amore » l’autorité sereine de ses graves larges au souffle long.
Dans la fosse, Fabio Biondi, pour sa première intervention à la tête de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège tient parfaitement ses troupes, offrant à l’oreille une pâte sonore puissante, dense, moelleuse, à la rythmique précise, enlevée dont le souffle traverse toute l’œuvre avec une belle créativité dans les récitatifs accompagnés, si importants ici. Le continuo mérite lui aussi des éloges tout comme l’excellent chœur de l’Opéra merveilleusement coloré dans la paix de « Placido è il mar » comme dans la tourmente d’ « Oh voto tremendo ! ».