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MOZART, Idomeneo, re di Creta – Genève

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Spectacle
26 février 2024
Quid sunt regna ?

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Dramma per musica en trois actes
Musique de Wofgang Amadeus Mozart
Livret de Giambattista Varesco
Création le 29 janvier 1781 à Munich

 

Détails

Mise en scène/chorégraphie
Sidi Larbi Cherkaoui

Scénographie
Chiharu Shiota

Costumes
Yuima Nakazato

Lumières
Michael Bauer

Dramaturgie
Simon Hatab

 

Idomeneo
Bernard Richter

Idamante
Lea Desandre

Elettra
Federica Lombardi

Ilia
Giulia Semenzato

Arbace
Omar Mancini

Grand-Prêtre de Neptune
Luca Bernard

L’Oracle
William Meinert

Une fille crétoise
Mi-Young Kim

Une fille crétoise
Mayako Ito

Un Troyen

Rodrigo García

Un Troyen
David Webb

 

Cappella Mediterranea
Orchestre de Chambre de Genève
Chœur du Grand Théâtre de Genève

Pianoforte
Adrià Gràcia Gàlvez

Chef des chœurs
Mark Biggins

Direction musicale
Leonardo García Alarcón

 

Genève, Grand Théâtre, 23 février 2014, 19h30

Que sont les royaumes sans la justice, sinon de grandes bandes de brigands ? Saint Augustin s’interrogeait déjà quant à ce qui distingue une flotte de pirates de la flotte d’un empereur. La lecture d’Idoménée proposée par Sidi Larbi Cherkaoui repose la question un peu différemment : que sont les rois lorsqu’ils déterminent eux-mêmes ce qui apaisera les dieux. En d’autres termes, que sont les rois quand ils déterminent le cours de la justice – justice divine en l’occurrence ? Des tyrans. Loin d’être cantonnée aux mythes antiques, la question revêt une dimension urgente, c’est-à-dire directement aux prises avec le monde contemporain : quelles sont les conséquences de la volonté aveugle d’un homme qui cherche à conserver son pouvoir, au détriment évident des générations futures ? Un désastre. La question peut être posée à partir de ses conséquences : où est la liberté dans un monde déjà façonné par des décisions antérieures et, à bien des égards, égoïstes ?

C’est quand une mise en scène réfléchit sur le monde dans lequel elle s’inscrit qu’elle est intéressante. C’est quand une œuvre ancienne permet de penser un contexte contemporain qu’elle est réellement universelle. On aimerait écrire que la conjonction de ces deux éléments fait un spectacle important, mais ce serait ramener à des catégories rigides une œuvre et une démarche qui, précisément, visent à les faire exploser.

© Filip van Roe

Pour traiter ces thématiques, Sidi Larbi Cherkaoui s’est associé à Chiharu Shiota,  plasticienne japonaise à l’œuvre directement identifiable. Ses installations sont, de manière récurrente, constituées de fils. Manière de pensée le lien, l’enchevêtrement, le décloisonnement, l’affranchissement, mais aussi l’emprise et la question d’un destin peut-être inéluctable. Manière de figurer une pensée en réseaux (en rhizome, écriraient Deleuze et Guattari) ou, plus généralement, le destin commun d’une humanité ou d’une part de celle-ci. Manière aussi de rendre sensible la catastrophe. Rouges, ces fils évoquent le sang. Dans son installation Over the Continents, présentée en 2011 à la Biennale d’art contemporain de Melle, deux cents paires de chaussures sont liées à un même point de l’espace, destin commun ou fin inéluctable ; individus ramenés à l’unique certitude, celle de la mort. Car ces œuvres portent bien une empreinte tragique liée à l’arrachement, à une injustice profonde et à la mort. Comment ne pas mettre en lien ces chaussures avec l’accumulation des souliers de victimes présentée à Auschwitz, ou encore avec Personnes – installation de Christian Boltanski au Grand Palais dans le cadre de Monumenta 2010 – où l’individu déshumanisé demeure à travers ses vêtements encore malmenés ?

Dans le cadre d’Idoménée, le rouge évoque aussi la mer, toujours présente. Mer méditerranée où baigne le sang des soldats troyens ou crétois. Mer méditerranée où baigne encore le sang de milliers de personnes. Ces fils – qu’ils évoquent la mer, les liens amoureux ou d’emprise, le filet du destin… – sont rendus vivants, mouvants, par l’omniprésence de la danse – ce qui va de soi lorsqu’on traite du travail de Cherkaoui. La rencontre de la plasticienne et du chorégraphe produit une explosion esthétique et conceptuelle à la fois. Une réussite absolue.

© Magali Dougados

À la tête de sa Cappella Mediterranea et de l’Orchestre de chambre de Genève, Leonardo García Alarcón offre une lecture vive, nette, incisive, parfois nerveuse mais jamais énervée, ni emportée. Si Idoménée est à plusieurs égards une œuvre importante du compositeur salzbourgeois – notons certaines des plus belles pages chorales de Mozart, atteignant une maîtrise et une intensité que l’on ne retrouvera plus avant la Messe en ut mineur ou le Requiem, et le recours exceptionnellement important aux grands ensembles (osant le quatuor ce qui, dans un opéra seria, n’est pas loin d’une prise de position révolutionnaire) –, la place qu’il réserve à l’orchestre dans les récitatifs doit être soulignée. Très rares dans le seria, les recitativo accompagnato (récitatifs accompagnés par l’orchestre) avaient déjà été sobrement utilisés par Gluck. Pour Idoménée, Mozart se saisit du procédé et le porte à un niveau d’expressivité inégalé, si bien que certains récitatifs ont autant, sinon plus, d’intérêt sur le plan des harmonies et des couleurs que certains airs. Alarcón sait tout cela, c’est évident, et la lecture qu’il propose est toujours directement aux prises avec l’action (on s’interroge toutefois sur  le  choix de laisser l’intermezzo de la fin de l’acte I au pianoforte seul, peut-être s’agit-il de laisser à la danse le monopole de l’expressivité à ce moment ?). De dramatique, la musique devient presque dramaturgique.

Lea Desandre et Giulia Semenzato, qui signent toutes deux une prise de rôle, sont des mozartiennes idéales. L’Idamante de la première est engagé, la voix est coulée dans un moule homogène, bien projetée, toujours accrochée aux résonateurs supérieurs, ce qui lui permet de passer en toutes circonstances, malgré une puissance contenue. L’Ilia de la seconde fait droit à l’ambiguïté profonde du personnage. Elle devrait haïr, mais elle aime. Elle aime excessivement, mortellement même. Les aigus sont larges et pleins, colorés et riches en harmoniques. Le duo de l’acte III est un moment musicalement magique. C’est aussi la démonstration d’un remarquable travail d’homogénéité des timbres. Les voix se marient parfaitement, se confondent presque, et on ne doute pas que cet élément fut l’un des paramètre de l’élaboration de la distribution.

Federica Lombardi est une Elettra engagée, quoiqu’encore un peu trop sage lorsque la violence qu’elle porte devrait exploser (cela passe aussi par des choix interprétatifs, par exemple des legatos qui auraient pu être moins prononcés, des lourés ou notes détachées qui auraient pu l’être davantage dans l’air de l’acte III). La voix est ample pour ce répertoire, bien projetée et enveloppante.

Malgré un timbre prometteur, clair et riche à la fois, lumineux même, et une projection idéale, bien canalisée avec un vibrato généralement maîtrisé, l’Idomeneo de Bernard Richter ne convainc pas. Le rôle est certes virtuose et il est difficile d’exceller sur tous les fronts. Les attaques sont souvent approximatives, de même que, parfois, la justesse. La direction n’y est pas, la voix manque de souplesse ce qui, dans les vocalises conduit le chanteur à s’essouffler rapidement. Particulièrement redoutable, l’air de l’acte II (« Fuor del mar ») est symptomatique : les vocalises y sont, de toute évidence, péniblement franchies et le vibrato de la cadence finale est à ce point lent et large qu’il en devient nécessairement faux. On note, du reste, quelques flottements dans la synchronisation avec l’orchestre.

Omar Mancini est efficace dans le rôle d’Arbace – malgré un manque de direction dans les vocalises difficiles de son air du troisième acte –, tandis que Luca Bernard campe un Grand-Prêtre de Neptune à la voix large et projetée en avant. Enfin, l’Oracle de William Meinert offre une voix chaude et ample mais étrangement amplifiée, ce qui confère à la scène un côté vulgaire étonnant et sans doute pas recherché.

© Magali Dougados

Chez Mozart, la fin est en principe heureuse : Idoménée abdique au profit de son fils, lequel peut désormais librement aimer Ilia. De même, Ilia qui a offert sa vie pour sauver celle d’Idamante (pourquoi les hommes supporteraient-ils seuls les conséquences de leurs actes ?), peut vivre apaisée, amoureuse du fils de celui qui a tué son père. Ce dénouement inattendu étonne quand on se souvient que, dans le Télémaque de Fénélon (1699), Idoménée immole son fils devant les Crétois – l’épisode n’est pas sans évoquer le sacrifice de sa fille par Jephté (Livre des Juges) qui a inspiré à Haendel son oratorio éponyme (1750) que Mozart connaissait certainement. On retrouve encore le sujet chez Crébillon (1705), Danchet (1712) – qui a fourni à Campra le livret de son opéra Idoménée – et Le Mierre (1764). La fin y est toujours malheureuse. Si Mozart et son librettiste, l’abbé Varesco, ont opté pour un happy end, c’est en réalité en raison de contraintes liées à la commande de l’opéra. Le Prince Électeur Karl Theodor de Bavière voulait un opéra seria, une fin heureuse s’imposait donc. Pas plus que Cherkaoui, Mozart et Varesco n’y croyaient pas : le programme distribué lors de la première de l’œuvre en 1781 s’achevait sur cette invitation : « Lisez la tragédie française ». Si Idoménée est prêt à sacrifier n’importe quel être humain pour conserver son pouvoir, s’il s’obstine à négocier avec les dieux (incarnation de la justice chez saint Augustin ?) pour régner encore, alors même qu’à tout moment il lui suffisait d’admettre ses torts et d’accepter son sort (périr lui-même ou abdiquer), s’il est cynique au point de d’abord accepter le sacrifice de son propre fils, comment croire un instant à la fin de Mozart ?  Le dénouement n’est heureux que parce que les dieux l’ont voulu.

Dans le monde réel – un monde sans dieux – le sacrifice aurait eu lieu. C’est cela que Sidi Larbi Cherkaoui nous dit, à propos de Mozart, certes, mais d’abord à propos du monde dans lequel nous vivons.  

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Sidi Larbi Cherkaoui

Scénographie
Chiharu Shiota

Costumes
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