A l’issue de cette première réussie d’Idomeneo au théâtre du Capitole de Toulouse, le public a réservé le meilleur accueil au quatuor vocal, aux rôles secondaires, au chœur et à l’orchestre, mais quelques huées bien senties se sont glissées sous les hourras lorsque Satoshi Myagi, le metteur en scène, et ses comparses Yukiko Yashimoto (lumières) et Kayo Takahashi Deschene (costumes) sont venus se joindre à l’ensemble. Ces réserves méritaient-elles d’être si clairement exprimées ? Pas si sûr.
Cette nouvelle production est en fait une co-production avec le festival d’Aix-en-Provence ; la première eut lieu durant le Festival d’Art lyrique, session 2022. A l’époque déjà, la mise en scène interrogeait. Et de fait, le parti pris de Myagi vient comme conforter, renforcer le travers premier de ce qu’est l’opera seria, à savoir l’immobilité et le caractère répétitif des épisodes. Or dans cette proposition, trois des protagonistes principaux, Idomeneo, Idamante et Illia, sont, tout au long de l’ouvrage, juchés sur de hauts piliers mobiles, où ils tiennent – parfois difficilement – en équilibre. Il s’ensuit une impossibilité pour eux de se mouvoir, d’aller l’un vers l’autre, de se retourner, de fuir, de courir, bref d’aller et venir librement sur scène, de donner en un mot du dynamisme à un récit qui en manque déjà passablement. Mais c’est que justement ces trois-là ne sont pas libres du tout. Leurs mouvements sont non seulement entravés par l’étroitesse de la surface où ils sont perchés, mais ils sont surtout menés par des mains qui ne sont pas les leurs, mais celles des suppôts des dieux qui, dans les intérieurs transparents des piliers, les manipulent littéralement. Il faut donc comprendre qu’à la différence d’Elettra qui, elle, est libre de ses mouvements, entendez libre de se livrer à ses sentiments humains, trop humains, nos trois héros sont en fait le jouet des dieux et particulièrement de Neptune. Alors certes, la traduction scénique est troublante, voire perturbante, mais elle éclaire d’une lumière nouvelle et à tout le moins intéressante le caractère des quatre protagonistes principaux. Si l’on ajoute à cela des éclairages et des costumes somptueux, on pourra estimer bien sévères les huées évoquées plus haut. D’accord en revanche pour estimer totalement superfétatoire de transposer l’action au Japon, sans doute au siècle dernier. Cela n’apporte strictement rien à la compréhension de l’ouvrage, offre au contraire une confusion inutile de temps et d’espace.
©Mirco Magliocca
Cela mis de côté, la prestation musicale nous a séduit et parfois même transporté. Michele Spotti fait des merveilles à la tête de l’orchestre Nationale du Capitole. Battue énergique, entraînante en ce qu’elle fédère les énergies, tempo toujours adapté. Nous noterons aussi une attention de tous les instants à ses chanteurs et choristes. En ce soir de première, quelques menus décalages et un pupitre de cor nerveux en début de partition, mais rien qui n’obère sérieusement l’impression d’ensemble.
Une fois n’est pas coutume, ce n’étaient pas les chœurs de l’opéra national du Capitole qui étaient à l’œuvre, mais, pour les besoins de cette co-production, le Chœur de chambre Les Eléments, de Joël Suhubiette. On connaît l’importance accordée aux chœurs dans Idomeneo, partition qu’on ne peut confier qu’à une phalange sûre. C’est décidément le cas des Eléments, institution reconnue en Occitanie et qui livre encore ce soir une magnifique prestation avec, comme toujours, des voix de basses de toute beauté.
Krešimir Špicer incarne un grand prêtre d’autorité ; le rôle est réduit mais nécessite des moyens vocaux que possède sans conteste le ténor croate. Arbace est tenu par Petr Nekoranec. Celui-ci résout mieux les difficultés de son premier aria au II (« Se il tuo duol » ) que celles de l’air du III (« Se colà ne’ fati è scritto ») qui semble parfois hors de portée. Andreea Soare est une Elettra comme il les faut, c’est-à-dire au sang chaud et à la vindicte crâne. La voix est à l’avenant, forte, vive et tranchante. Elle remporte un vif succès auprès du public. Marie Perbost en Illia aurait mérité la même reconnaissance, mais elle a de toute évidence pâti de son entrée, on ne peut plus acrobatique. L’arioso puis l’aria « Padre, germani, addio » est très tendu et il arrive que le cantabile fasse défaut. A sa décharge il faut absolument ajouter que la mise en scène ne lui a guère facilité la tâche. On la voit juchée sur son pilier mobile aux mouvements parfois inattendus et déstabilisateurs. Du coup, notre Illia doit plus d’une fois s’accrocher au bastingage comme par gros temps, ce qui, on en conviendra, ne place pas dans les meilleurs conditions pour aborder ce sommet de difficultés qu’est ce premier numéro de l’œuvre. Par la suite tout s’arrange pour Marie Perbost qui nous livre notamment un délicieux « Se il padre perdei » au II ainsi qu’un non moins réussi « Zeffiretti lusinghieri » au III.
Cyrille Dubois est un caméléon ! Donnez-lui n’importe quel rôle qui convient à sa voix, il en devient le personnage. Il nous avait déjà renversé lors de sa dernière prestation toulousaine (le chœur masculin dans The Rape of Lucretia). Il est ici un Idamante idéal et nous bénissons Mozart d’avoir confié, dans la version viennoise d’Idomeneo, le rôle d’Idamante à un ténor. Cela nous a valu une prestation maîtrisée d’un bout à l’autre. Agilité de la voix, expressivité, ligne du chant, tout y est, qui culmine dans un « Non temer » du plus haut des cieux avec un non moins céleste accompagnement du violon solo. Enfin nous découvrons Ian Koziara dans le rôle-titre et quelle belle découverte. Son morceau de bravoure « Fuor del mare » est une réussite complète par l’intensité de la ligne de chant, les ornements surajoutés dans la reprise et tous maîtrisés. Du grand art.