Dernière production lyrique d’une année mouvementée, la Clémence de Titus était reprise hier soir dans la mise en scène de Willy Decker. Celle-ci fêtant bientôt ses vingt-cinq ans, elle a déjà été commentée de nombreuses fois par nos confrères.
La Clémence reste un mal-aimé. Mozart a beau y être au comble de son art, rien n’y fait, la sauce de cette opera seria ne prend pas. Soyons justes : il est difficile de rester pertinent après s’être livré aussi intimement que dans Don Giovanni ou la Flûte enchantée. La distance qu’impose l’opera seria nous paraît d’autant plus froide.
Willy Decker a bien senti que l’œuvre ne s’imposerait pas dans la froideur. Non content des habituelles lectures indifférentes et olympiennes, il souhaite nous montrer l’envers du décor de la Clémence : Titus rayonne d’humanité et de sentiments véritables au travers des lézardes de son empire vacillant. Animé des mêmes passions que les autres personnages, il est condamné à son statut, lequel le condamne à la clémence. Le metteur en scène sait efficacement traduire les sentiments qui traversent les personnages, quitte à ce que le jeu de scène devienne un brin systématique. On est en revanche moins séduit par un décor peu original, qui vient muséifier une œuvre qui a pourtant déjà du marbre à revendre.
Mark Wigglesworth dirige l’œuvre avec souplesse et fluidité, mais sans insuffler de véritables accents dramatiques à la partition. De ce fait, l’Orchestre de l’Opéra de Paris nous paraît un peu terne ce soir. Difficile de juger avec objectivité la prestation du Chœur de l’Opéra, contraint d’apparaître masqué toute la soirée.
Sans que personne ne démérite véritablement, la distribution peine à convaincre dans son entièreté. Malgré la brièveté de son rôle, Christian Van Horn campe un Publio solide et bien en voix. Du duo candide entre Jeanne Ireland (Annio) et Anna El-Khashem (Servilia), nous retenons avant tout le timbre frais et juvénile de cette dernière. Jeanne Ireland dispose certes d’un mezzo riche et fruité, sa prestation semble encore un peu hésitante vocalement pour emporter l’unanimité. Le Sesto lyrique mais humble et sincère de Michèle Losier est la véritable source de joie de cette soirée. La prestation suscite d’autant plus notre enthousiasme que la chanteuse semble être la seule à s’identifier pleinement avec la lecture de son personnage faite par Decker.
Amanda Majeski était déjà Vitellia en 2017, expérience qui se manifeste par un naturel scénique enviable. La chanteuse possède indéniablement les graves nécessaires pour incarner celle qui calcule froidement dans l’ombre, mais c’est l’aigu qui s’amincit par endroits, et manque de lui faire défaut dans le trio du I. Le même constat mitigé vaut pour le tenant du rôle-titre. Est-ce la pourpre césarienne qui confère à Stanislas de Barbeyrac ce timbre de voix plus sombre qu’à l’ordinaire ? On sent que le ténor s’attache à rendre audibles les tourments de son personnage, tout en asseyant sa supériorité. Dans la tessiture habituelle, et dans les scènes « autoritaires », le parti pris est du meilleur effet. La stratégie s’avère moins efficace dans l’aigu piano que l’on perçoit fabriqué, et semble mettre notre chanteur en danger lors des quelques vocalises du rôle.
Invariablement débonnaire, désespérément clément, Titus est un personnage difficile à aimer et à faire aimer. Sans décevoir complètement, cette production accuse les faiblesses déjà imputables au compositeur lui-même.