Pour la première fois depuis de nombreuses années, Aix-en-Provence ne propose cette année aucune œuvre lyrique de Mozart en version scénique. Autant dire que cette mise en espace de La Clemenza di Tito avec une distribution « all star » arrive à point nommé en cette fin d’édition 2024 du Festival.
Médaille d’or pour Raphaël Pichon, qui accomplit ce soir une véritable prouesse grâce à sa direction ambitieuse, parfaitement adaptée à la prestigieuse distribution. D’une part, le chef, avec une remarquable hauteur de vue, laisse à la fois prendre forme le crescendo du drame et respirer la musique. À ce titre, le final du premier acte est exemplaire : Raphaël Pichon y souligne avec la même efficacité la panique de Sesto arrivant au Capitole, puis l’insoutenable tension qui s’installe peu à peu entre les protagonistes. Par ailleurs, le chef ne manque pas de ponctuer l’exécution musicale de trouvailles passionnantes, telles que ces ruptures de tempo et silences dans les deux arias concertants de Sesto et Vitellia.
La mise en espace lisible, sobre mais efficace de Romain Gilbert contribue également à la réussite globale du spectacle. Elle permet aux personnages de prendre vie, grâce à des mouvements fluides, des regards, et évite les habituelles hésitations qui peuvent gêner une exécution en version de concert. Les éclairages de Cécile Giovansili Vissière apportent quant à eux une belle dimension visuelle, par exemple lorsque Sesto, alors soupçonné, apparaît illuminé en fond de scène.
Raphaël Pichon est parfaitement secondé dans son œuvre par un Ensemble Pygmalion en grande forme. En particulier, le pupitre des cordes virevolte dans les passages rapides et soutient les chanteurs par un radieux équilibre sonore dans les moments les plus tendres. Au pianoforte, Pierre Gallon fait bien plus qu’assurer le continuo : le musicien, très inventif dans les transitions, commente l’action, devenant un personnage à part entière.
Le public réserve un véritable triomphe à Marianne Crebassa. Ce n’est que justice pour une prestation sous le sceau de l’évidence, dans un rôle, il est vrai, toujours payant à l’applaudimètre. Retrouvant Sesto qu’elle n’avait pas chanté depuis 2017, la mezzo-soprano y est toujours d’un frémissement quasi adolescent et d’une plénitude vocale (quelle projection !) qui laissent pantois. Bien sûr, son spectaculaire « Parto », entre triolets virtuoses et dialogue bouleversant avec la clarinette de Nicola Boud, fait, comme d’habitude, grand effet. La voix de Marianne Crebassa a toutefois évolué, et l’on note avec intérêt de nouvelles subtilités dans ce portrait de Sesto, comme ces graves plus appuyés, ou encore un legato encore plus raffiné (le duo d’entrée avec Vitellia est en ce sens remarquable).
Après avoir chanté Sesto, Karine Deshayes fait ce soir ses débuts en Vitellia. L’exécution vocale du rôle est impeccable : pas une vocalise n’échappe à la mezzo, ni même un grave ou un aigu, des notes les plus basses de « Non più di fiori » au contre-ré du trio du premier acte. Attentive au rythme des récitatifs, Karine Deshayes semble plutôt vouloir présenter son personnage comme une amoureuse que comme une hystérique. Elle met ainsi en avant un superbe legato et les belles couleurs qui irradient de lumière les ensembles. Un léger bémol tout de même : la cantatrice, sans doute tendue par cette prise de rôle, reste très concentrée sur sa partition, et ce n’est qu’en fin de spectacle qu’on la sent réellement s’abandonner à son personnage.
Dans le rôle-titre, dans lequel il débute également, Pene Pati laisse une impression plutôt partagée. Malgré une projection royale et une autorité naturelle qui donnent corps à son personnage d’empereur, on ressent un effort constant pour adapter une voix à un style qui ne lui convient pas naturellement. En particulier, la quasi-totalité des vocalises de « Se all’impero » lui échappent. L’Annio de Lea Desandre, admirablement phrasé et orné, est un luxe absolu. La Servilia d’Emily Pogorelc est quant à elle très investie dramatiquement, même si la voix tend à se tendre dans l’aigu. Enfin, Nahuel di Pierro incarne un Publio d’une belle prestance.